Extrait : Gravé dans le sable

Auteur : Michel Bussi
Editeur : Presses de la Cité

Gravé dans le sable

L'assaut

6 juin 1944, Omaha Beach, la Pointe-Guillaume

La péniche ouvrit son ventre. Les cent quatre-vingt-huit rangers plongèrent dans l'eau froide puis se dispersèrent rapidement. Vus du haut de la Pointe-Guillaume, ils n'étaient guère plus grands que des fourmis sur une nappe froissée.
Difficiles à viser.
Lucky Marry parvint le premier sur la plage, à peine essoufflé. Il s'allongea dans le sable humide, protégé par un petit bloc de granit et la lourde caisse d'explosifs qu'il posa devant lui. Il entendit des bruits de pas rapides dans son dos et un souffle court. Ralph Finn se jeta lui aussi derrière l'abri de fortune.
Vivant !
Il regarda un instant la Pointe-Guillaume, tout en haut dans la brume, puis le mur de béton, cinquante mètres devant eux. Il sourit à Lucky, un sourire de brave type pris dans la tourmente du monde, et pourtant prêt à se comporter jusqu'au bout en héros anonyme.

Une explosion retentit à moins de dix mètres d'eux. Sans un cri. Des nuages de sable mouillé s'élevèrent. Alan Woe surgit du brouillard et s'allongea à côté de Lucky et Ralph.
Vivant lui aussi !
Son regard s'enfonça dans celui de Lucky. Un regard calme, empreint de sagesse. Un supplément d'humanité. A quoi cela lui servait, ici ?

- Un ! hurla le lieutenant Dean. Immédiatement, comme des machines bien entraînées,
Lucky, Ralph, Alan pointèrent leurs armes en direction de la Pointe-Guillaume et tirèrent. La mitraille devint soudain assourdissante. Une pluie de balles s'abattit sur le blockhaus juché au sommet du piton rocheux. Tout en visant, Lucky se forçait à penser à Alice. Il s'en sortirait, grâce à elle, comme toujours.
Un hurlement déchira le vacarme des détonations. Le malheureux Benjamin Yes n'était pas allé loin.

- Deux ! hurla Dean
Déjà ?
Tout en continuant de tirer à l'aveugle, Lucky se retourna. Dans le flux et reflux de l'eau souillée, il observa un instant les corps des compagnons tombés, les corps des compagnons blessés, les corps inertes aussi de ceux qui n'avaient pas osé aller au bout, courir à découvert, sortir plus que la tête de l'eau.
Parmi eux, Oscar Arlington. Il parvenait enfin sur la plage. Trempé, rampant dans la boue grise, il se rapprochait lentement de la caisse d'explosifs. Il tremblait, incapable de saisir son arme, les yeux injectés de sang.
Lucky croisa le regard effaré d'Arlington.