Back up

Auteur : Paul Colize
Editeur : Gallimard

Quel rapport entre la mort en 1967 des musiciens du groupe de rock Pearl Harbor et un SDF renversé par une voiture à Bruxelles en 2010? Lorsque l'homme se réveille sur un lit d'hôpital, il est victime du Locked-in Syndrome, incapable de bouger et de communiquer. Pour comprendre ce qui lui est arrivé, il tente de reconstituer le puzzle de sa vie. Des caves enfumées de Paris, Londres et Berlin, où se croisent les Beatles, les Stones, Clapton et les Who, à l'enfer du Vietnam, il se souvient de l'effervescence et de la folie des années 1960, quand tout a commencé...

8,30 €
Parution : Juin 2018
496 pages
Collection: Folio policier
ISBN : 978-2-0727-8994-6
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Extrait

Larry Speed, de son vrai nom Larry Finch, était le fondateur et le leader de Pearl Harbor, le groupe de rock qu’il avait formé trois ans auparavant, alors qu’il vivait encore à Battersea, un quartier de la banlieue sud de Londres.
Enfant illégitime, il n’avait pas connu son père, un insatiable coureur de jupons qui avait disparu du jour au lendemain quelques semaines avant sa naissance. Il avait passé son enfance et la majeure partie de son adolescence au second étage d’une modeste maison de Queenstown Road, choyé par une mère omniprésente qui l’idolâtrait.
Durant près de vingt ans, les quatre gigantesques cheminées de la centrale électrique construite sur le versant de la Tamise lui avaient servi d’horizon.
À l'inverse du mythe qui veut qu’un bassiste de rock soit un bagarreur intrépide, prompt à passer à tabac le premier contradicteur venu, Larry était un blanc-bec chétif, au visage émacié, au teint maladif et au courage limité.
Sous l’impulsion de sa mère, il avait suivi des cours de solfège et appris le piano à l’âge de huit ans. Quatre ans plus tard, il était passé à la guitare jazz, pour rapidement basculer vers la basse et suivre les pas de son modèle de l’époque, Charlie Mingus.
De sa formation classique, il avait conservé la rigueur et la précision. Il affirmait avec le plus grand sérieux que les lignes de basses les plus abouties avaient été composées deux siècles auparavant par Jean-Sébastien Bach et que personne ne l’avait surpassé, excepté Jack Bruce.
Introverti, taciturne, misanthrope, il masquait son mal de vivre derrière un sourire cauteleux et des sarcasmes assassins.
Néanmoins, il subissait de saisissantes métamorphoses lorsqu’il entrait en scène. Il devenait alors excentrique, enjoué et gesticulait comme un forcené.
Peu avant seize heures, il arriva au Punta Negra, un hôtel flambant neuf perché sur une petite péninsule de la Costa d’en Blanes, à une vingtaine de kilomètres de Palma.
Il prit possession de sa chambre, ouvrit sa valise et en étendit le contenu sur le sol.
Une demi-heure plus tard, il fit son apparition à la piscine de l’hôtel où sa peau fatiguée, ses longs cheveux noirs et sa chemise à franges ouverte sur son torse décharné détonnèrent avec le hâle et les rondeurs des vacanciers allongés sur les chaises longues. Pour souligner le contraste, ses bras étaient chargés de tatouages dont le plus explicite louait les bienfaits de la fellation.
Scandalisés, les clients de l’hôtel échangèrent à mi-voix des propos en l’épiant du coin de l’œil.
Indifférent aux regards suspicieux, Larry s’accouda au bar et commanda une bière qu’il avala d’un trait. Déconcerté par le prix dérisoire qui lui fut réclamé, il passa à la vitesse supérieure et relança au gin coca.

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