Bettina Eisner

Auteur : Michel Deutsch
Editeur : Christian Bourgois Editeur

"Croyez-vous vraiment que cette femme existe ? Et si elle avait tout simplement été inventée par la Stasi pour les besoins de la cause, professeur ? Avait raillé Jürgen Jacobi, l'autre soir alors que je cherchais à retrouver Bettina. On commet tous des erreurs. Laissez tomber ! Les ombres hostiles qui s'agitent dans les coulisses ? Les fantômes sont encombrants... On a beau faire, on ne s'en débarrasse jamais."

Nous sommes en 1994, cinq ans après la chute du Mur de Berlin, quatre ans après la disparition de la RDA. Rudy W., historien spécialiste de l'empire romain, est invité à un colloque à Leipzig pour parler du limes, cet autre « Mur » qui, pendant près de quatre siècles, a matérialisé la frontière entre l'empire romain et le monde barbare.
Pour l'historien cependant, ce qui devait n'être que la calme séquence d'un colloque savant déraille presque immédiatement. Il apprend que son ex-femme, Clélia, avec laquelle il partage un passé d'activiste gauchiste, a disparu. Aurait-t-elle été enlevée par les anciens camarades du groupuscule terroriste auquel elle appartenait ? Et qui sont toutes ces personnes qui abordent Rudy pour lui parler du député Max Leroy, avec qui il a travaillé autrefois? Le politicien est impliqué dans une affaire de corruption à la suite du rachat d'une raffinerie de pétrole de l'ex-RDA. Il aurait omis de payer les rétro-commissions à d'anciens agents de la Stasi, aujourd'hui reconvertis en mafieux, qui avaient servi d'intermédiaires.
Parmi ces personnages de l'ombre qui surissent, Bettina, véritable femme fatale, enjôle Rudy tout en le menaçant. L'historien se trouve ainsi pris entre le présent immédiat, ses rencontres successives - largement alcoolisées - et des réminiscences du passé : la rencontre avec Clélia, militante d'extrême gauche à Milan, leur séjour à new York, son amitié avec un certain Dieter, à Paris, et enfin la séparation avec Clélia, qu'il ne parvient pas à oublier. Histoire d'amour, de mort et de revenants, Bettina Eisner est avant tout un brillant roman noir, qui convoque habilement les codes et les clichés du genre pour les mêler au matériau historique. Un roman dans la veine du film La vie des autres, qui avait su combiner suspense et dévoilement de certains pans peu avouables de l'histoire récente. Bettina Eisner est aussi le roman d'une génération - la génération qui avait vingt ans en 1968 et qui voulait changer le monde (le gauchisme, la tentation de la lutte armée, les années soixante-dix en Italie...).
Intercalant trois registres de discours, le narrateur fait état du conflit intérieur et des tensions qu'instaure cette inéluctable concurrence entre souvenirs, mémoire et Histoire. Avec ce personnage de Rudy W., constamment tiraillé entre des accès de confusion intérieure et de lucidité, Michel Deutsch fait le récit d'une dérive, d'un mouvement de la mémoire à travers diverses topographies, des intrigues politiques et policières.
L'atmosphère qui s'en dégage rappelle l'univers des films de Wim Wenders, Rudy W. oscillant entre confusion intérieure et lucidité. S'il questionne beaucoup l'Allemagne, la question du retour possible, de l'identité, et la recherche de la mythique Germanie, Michel Deutsch déploie un questionnement plus large avec ce roman : il interroge les frontières, le prix qu'il faut payer pour limiter le divers du monde. Le temps des murs, qu'on a cru révolu avec la chute de celui de Berlin, semble renaître. Le barbare, l'étranger qui va submerger l'Occident. La peur panique qu'inspire l'autre. Il faut ériger des murs, le limes, construire un mur sur les rives de la Méditerranée...

18,00 €
Parution : Janvier 2014
428 pages
ISBN : 978-2-2670-2614-6
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