Le sens de l'orientation

Auteur : Arrigo Lessana
Editeur : Christian Bourgois Editeur

Ferdinand aime la moto, le foot, la montagne. Bien concentré sur son métier de chirurgien du coeur, il est mal orienté dans sa vie amoureuse. Sa femme le quitte. Dans un Paris imaginaire, il trace une nouvelle carte du Tendre et rencontre Paola au café de l'Étoile du Nord. « Comme le jour, qui se lève toujours, Ferdinand vint à penser, ravi, qu'elle viendrait toujours, confondant le toujours d'aujourd'hui avec l'autre, le toujours à venir, dont personne ne sait rien. » Ferdinand consulte son médecin des âmes, Valentin, qui dilue ses propres émotions dans le jeu. Une irrésistible ascension semblera tracer son destin dans la neige. Un récit délicat, ironique, percutant.

16,00 €
Parution : Janvier 2015
179 pages
ISBN : 978-2-2670-2717-4
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Extrait

Valentin peut perdre son bel allant

Au sixième étage par un ascenseur à deux places, juste après la porte, un escalier recouvert d'une moquette beige et deux fauteuils en guise de salle d'attente.
Pas mal d'attente. Les patients s'enjambent, assis, debout dans l'escalier pour aller s'allonger sur son divan. Peu de conversations, quelques mots échangés à mi-voix, presque rien, avec le temps, les gens prennent une couleur, velours côtelé, blouson, imper, écharpe, ils meublent l'espace, disparaissent.

Au-delà des fauteuils, le couloir est bordé d'une immense volière. Pas d'oiseau parleur dans cette zone tempérée, mais des mésanges. Elles volent en ondulant et se posent sur des perchoirs de chêne vert et de laurier. Un lierre ajouré les sépare du vitrage ; au-delà, les toits de zinc en vagues gris-bleu, les cheminées, les gouttières et les crêtes, les échelles et les antennes ; plus près, en contrebas, l'étrave d'un immeuble : à la proue, une terrasse verte en forme de poire ventrue dépasse le toit.
Au bout de la coursive la porte s'entrouvre, les gens se croisent à l'étroit, les épaules de profil. Dans la longueur du bureau-cabine, un fauteuil, un divan recouvert d'un kilim, et, posée sur une commode de bois sombre, grande comme deux paumes, la maquette fragile d'une belle goélette à deux mâts. Sous la fenêtre, une table étroite et sa chaise en bois courbé.
Pendant les séances de l'après-midi, il arrive que Ferdinand perçoive le froissement du quotidien ou de la revue de marine que Valentin parcourt distraitement. Les lettres d'imprimerie (les voiles aussi), pense-t-il, défilent devant les yeux de celui-ci comme un paysage passe à travers la fenêtre du train (un train longe la côte) sans déranger la rêverie. D'un geste brusque, Valentin jette le magazine par terre, ça le fatigue, tout ça. Un silence profond s'installe alors derrière la tête de Ferdinand posée sur le kleenex et son traversin dans le prolongement de son corps allongé. Pas un geste, pas un souffle, pas un crissement de soulier ni un frottement sur le cuir râpé du fauteuil.
Plusieurs fois, s'appuyant sur le coude, il s'est retourné pour s'assurer qu'il n'était pas resté seul dans la cabine du bout du couloir avec les gens en train de végéter dans l'escalier. Il lui est arrivé aussi d'être pris d'une inquiétude soudaine : l'autre aurait cessé de respirer et se serait évanoui, assis dans son fauteuil. Ferdinand l'a remarqué, Valentin peut perdre son bel entrain habituel. Saisi d'une sorte d'accablement, pâle, les traits tirés, l'homme semble prendre des années en quelques instants. Ferdinand a osé un jour en partant : «Ça va ?» Et Valentin : «Ça ira» Quelque chose, un événement venu du dedans ou d'ailleurs l'afflige parfois sans prévenir.

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