Gérard Depardieu : Itinéraire d'un ogre

Auteur : Patrick Rigoulet
Editeur : Editions du Rocher

C'est l'histoire d'un ogre. Trop de films (200 au comp­teur), trop de télé, trop de vin, trop de pétrole, trop de pub, trop de sexe, trop d'argent : la boulimie de Gérard Depardieu semble avoir vampirisé tous ses rêves d'en­fant et d'adolescent. Il est le comédien le mieux payé du box-office français, malgré un nombre considérable de bides retentissants, mais il est également, le jeune loubard de Châteauroux devenu parrain du cinéma français, le loup efflanqué aujourd'hui propriétaire ventripotent de domaines seigneuriaux et d'hôtels particuliers.
Sa vulgarité très étudiée, ses démêlés avec ses enfants et ses relations avec Fidel Castro comme avec Khalifa, l'homme d'affaires algérien aux méthodes sulfureuses, auraient été fatales à l'image de plus d'un personnage public. Pas à celle de Depardieu qui assume tout.
Cette biographie n'est pas une plaidoirie ou un acte d'accusation : avec méthode et rigueur, Patrick Rigoulet peint par touches successives le portrait d'un homme aux appétits et à la personnalité Hiors du commun. Il révèle ainsi de nombreuses facettes laissées dans l'ombre par les biographies officielles. Et décrypte la planète artistique du flamboyant interprète de Cyrano de Bergerac où alternent des nuits profondes et d'aveuglantes lumières.

20,20 €
Parution : Août 2007
327 pages
ISBN : 978-2-2680-6288-4
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Extrait

Châteauroux : entre province et Amérique

Tout commence de fait à Châteauroux, morne capitale du Bas-Berry, ville de province sans vrai relief, perdue dans l'immensité et la tristesse de la plaine. Il ne s'y passe pas grand-chose, tout y semble en dehors du temps, un peu fade, confit dans un ennui implacable et sans remède. Un rien balzacienne, la ville bruisse de rumeurs, de ragots. La vie culturelle y est tellement réduite que la plupart des Castelroussins n'en a jamais entendu parler. De rares cinémas projettent les dernières exclusivités. Le vieux théâtre, qui sera démoli en 1957, tombe en ruine.
Pourtant, c'est la reconstruction. La guerre est encore là, dans toutes les têtes, période atroce d'arrestations arbitraires et de déportations. En cette année 1948, la ville panse ses plaies béantes. Les grues s'élancent vers le ciel. De nouveaux immeubles jaillissent. Le baby-boom commence.
Fruit de cet élan national autant que frénétique, Gérard Depardieu naît le lundi 27 décembre 1948, rue du Maréchal-Joffre, dans le quartier de l'Omelon, non loin de la gare SNCF qui sera, quelques années plus tard, l'antichambre d'une carrière en forme de destin.
Sa mère n'a pas les moyens d'aller à la clinique. Elle est aidée d'une sage-femme qui coupe le cordon ombilical à la va-vite. C'est comme ça chez les Depardieu, un peu sans façons. La famille vit dans la dèche. Le père, René Depardieu - plus connu dans le quartier sous le sobriquet de «Dédé» - est ouvrier. Assez bel homme - Gérard ira jusqu'à comparer son allure à celle de Gary Cooper -, sensible autant que rustre, inculte et sans conversation, il soigne sa mélancolie chronique dans l'alcool. À l'issue d'un tour de France comme compagnon - on le surnomme alors «Berry le bien décidé» -, il rêve d'une carrière d'artisan. Mais il n'a pas assez de volonté, pas assez de chance, peut-être pas assez de talent, sans doute pas assez de caractère. Il s'essaye à plusieurs métiers : cordonnier, puis métallo, plus exactement tôlier-formeur. Dans les usines, après le cataclysme de la Seconde Guerre mondiale, les besoins en hommes sont énormes. Il touche un salaire de misère. Sa seule vraie passion ? Sa femme Alice, surnommée Lilette, ou la Lilette, ou encore l'Éliette.
Quand il était compagnon du tour de France, en guise de chef-d'oeuvre, Dédé a fabriqué une botte de pompier en ferraille, avec des plis, qu'on peut même chausser ! Il en est fier, la montre à tout le monde. C'est la seule création de sa vie. Il n'y en aura jamais d'autres, si ce ne sont ses six enfants.
Fils unique, il est né en 1923 dans un petit village du sud de l'Indre, Montchevrier, à la limite du département de la Creuse. Son père - le grand-père de Gérard - est un ancien Poilu qui a suivi une carrière militaire après la guerre. Lorsqu'il meurt en 1931, sans doute des suites d'un mal contracté dans les tranchées, Dédé n'a que huit ans. Il grandit à la campagne, dans le dénuement, seul avec sa mère. Pendant la débâcle de 1940, à dix-sept ans, il fuit éperdument vers la Suisse, où il est accueilli dans un camp de réfugiés. Quant à celle qui allait devenir sa femme, Lilette - de son vrai nom Alice Marillier -, elle est née la même année que son futur mari. Elle est originaire de Saint-Claude, dans le Jura, où ses grands-parents possèdent une petite fabrique de pipes, la grande spécialité locale. Son père est pilote dans l'armée française. En 1940, il est muté à Châteauroux, où se trouve une grande base militaire, La Martinerie, qui sera, plus tard, concédée aux Américains. Il s'y installe avec sa femme et sa fille. Dédé, lui, y revient en pleine occupation allemande. Il rencontre Lilette. Le coup de foudre est immédiat et réciproque. Ils s'aiment, s'aiment, ne se quittent plus. Ils se marient le 19 février 1944, dans une atmosphère de fin de monde. Ils ont vingt ans et la vie devant eux. L'épilogue de la guerre approche. Les Allemands quittent Châteauroux le 20 août 1944. L'espoir, le bonheur reviennent. Le bonheur ? L'épuration, qui ne les touche pas directement, commence ; elle n'en est pas moins particulièrement violente.
Même amoureux, même si la guerre est finie, Lilette et Dédé ont du mal à survivre. L'existence est rude. Les fins de mois sont plus que difficiles. On manque de tout. Seul l'amour les sauve. Ils emménagent dans le quartier de l'Omelon, un quartier en complète rénovation, mais qui reste assez pauvre. Un premier bébé naît, Alain, en septembre 1945. Puis vient Hélène, en septembre 1947. Enfin, Gérard, à la fin de l'année 1948. Les enfants sont-ils désirés, attendus ? Sans doute pas. De toute façon, on ne parle pas de ça en famille. On ne parle d'ailleurs de rien. Ce qui est sûr, c'est que Dédé et Lilette, malgré les grossesses à répétition, s'aiment passionnément, et la seule façon de se le dire, c'est - selon les termes de leur fils Gérard - de «baiser, baiser» sans arrêt, le plus souvent possible, pour fuir la laideur de leur quotidien.

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