Katie

Auteur : Christine Wunnicke
Editeur : Jacqueline Chambon

Londres, 1870. L'esprit du mesmérisme souffle sur la ville, où se multiplient les séances de spiritisme et où les médiums sont légion. La plus célèbre prêtresse de ce dialogue avec l'au-delà n'est autre que la jeune Florence Cook, qui chaque soir fait apparaître Katie, fille d'un pirate gallois du XVIIe siècle. Sir William Crookes, physicien de renom, chargé par un des admirateurs de Florence d'examiner ce cas passionnant, accueille cette dernière dans la demeure familiale. Nelly, l'épouse de Crookes, figure éthérée tragicomique et éternellement enceinte, qui semble hanter les couloirs de sa propre maison, va veiller sur elle. Dans ce roman où tout est vrai, car Florence Cook a bel et bien existé, de même que William Crookes et ses recherches sur le quatrième état de la matière, Christine Wunnicke fait revivre cette Angleterre victorienne où l'effervescence des idées autour des découvertes scientifiques allait de pair avec l'échauffement des esprits. Elle restitue avec finesse et humour la vie familiale d'un savant du XIXe siècle, et dresse le portrait d'une société qui ne peut résister aux charmes vénéneux de l'irrationnel.

Traduction : Stéphanie Lux
20,50 €
Parution : Septembre 2018
208 pages
ISBN : 978-2-3301-0451-1
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Extrait

– L’éditeur des Chemical News, répéta Crookes. Crookes. William Crookes. Crookes !
Le professeur Faraday contemplait le rayon de soleil qui entrait par la fenêtre à croisillons pour tomber sur le tapis. Il effleurait sa jambe gauche, ainsi que son fauteuil roulant. Crookes constata que les roues, les mains courantes et toute la structure inférieure du fauteuil étaient en fer, comme si le professeur menaçait de se mettre à flotter dans les airs si on ne le lestait pas suffisamment. Faraday observait les petits grains de poussière qui dansaient dans la lumière à côté de lui. Ses cheveux blancs, floconneux, que reliaient de minces favoris, rebiquaient au-dessus des oreilles. Son regard gris pâle, délavé, était perplexe.
– Crookes, répéta Crookes. Le Crookes du thallium. Son inventeur. Le daguerréotype. L’Observatoire de Greenwich. La métallurgie. Le Crookes de l’acide carbolique, de la peste bovine. William Crookes. Enfin, sir, vous me connaissez !
Mrs Faraday lui avait suggéré de s’adresser à son époux en faisant des phrases courtes. Le professeur Faraday ne gratifiait sa présence d’aucun mouvement, d’aucun regard, d’aucun bruit, pas même d’un soupir. Crookes aurait bien voulu que Mrs Faraday revînt du jardin pour s’entretenir avec lui. Suivant le regard de Faraday, il observa à son tour les grains de poussière qui dansaient dans la lumière. Il faudrait aller plus souvent à la campagne, se dit Crookes. Je devrais y emmener Nelly et les enfants, pour qu’ils s’épanouissent. Chez eux, à Camden Town, le soleil ne perçait jamais le brouillard. Ce soleil, le professeur Faraday l’avait certes mérité, lui qui avait rendu tant de services à la Couronne et au monde entier. La reine Victoria était tout près. On racontait que Faraday déjeunait régulièrement avec elle et savait l’enthousiasmer pour les sujets les plus divers. Une petite bulle de salive se forma entre les lèvres du professeur, où elle tremblota un instant avant d’éclater.
– Sir, reprit William Crookes, j’ai essayé mille fois de soumettre des raies spectrales à un champ magnétique, de les diviser, de les écarter, de les modifier, d’exercer sur elles un quelconque effet. J’ai essayé les aimants bâtons et les aimants en U, plusieurs bâtons, plusieurs U, des électroaimants de tailles et de formes diverses, avec différents cœurs, différents bobinages, différents dispositifs galvaniques, j’ai brûlé du natrium, du lithium, du kalium, du strontium, du calcium, du baryum, du magnésium, et du thallium aussi, bien sûr, j’ai brûlé des alliages de toutes sortes à différentes températures, j’ai dirigé tous ces aimants vers toutes ces flammes et tout observé au spectroscope jusqu’à en devenir à moitié aveugle, mais il ne s’est rien passé. Le grand aimant en U de la Royal Society lui-même n’a eu aucun effet. J’ai entendu dire que vous aviez essayé, vous aussi. Vous avez réussi, n’est-ce pas ?
Sa question ressemblait à une supplique.
Le soleil s’était un peu déplacé. Il effleurait à présent, le parant d’un éclat argenté, le favori gauche de Faraday.
– C’est un sujet qui me tient vraiment à cœur, ajouta Crookes.
La table d’appoint placée à côté du fauteuil roulant accueillait un livre pieux ouvert et un petit pot de lait très simple, mais à deux anses, qui perturbait Crookes depuis un moment déjà – peut-être s’agissait-il d’une sorte de tasse à bec pour malades. Faraday ne lisait pas, ne buvait pas, ne reconnaissait pas Crookes, ne comprenait pas ce qu’il lui disait, ne l’entendait peut-être même pas, et cela devait faire un moment qu’il ne déjeunait plus avec la reine.
– J’ignore, reprit Crookes, pourquoi cela me tient tellement à cœur. Pourquoi avez-vous essayé, vous ?
Les doigts de Faraday étaient légèrement écartés, les poignets cassés. On aurait dit qu’il voulait jouer du piano sur son fauteuil de fer, sur sa jambe maigrelette. On aurait dit qu’il était déjà au paradis. William Crookes n’avait aucun atome crochu avec la religion, il n’en avait jamais eu, tantôt elle l’agaçait, tantôt elle l’ennuyait, elle l’agaçait la plupart du temps. Éviter le sujet avec Nelly. Continuer à prier avec les enfants.
Quel paradis imbécile que celui où séjournait Faraday.

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