L'effet postillon et autres poisons quotidiens

Auteur : Julien Jouanneau
Editeur : Payot

Qui n'a pas pesté contre des invités incommodants lors d'une crémaillère ? Devant les postillons d'un voisin de table ? Ou devant les désagréments d'un gargouillis intempestif causé par un repas trop nourri ? Au fil d'une trentaine de chroniques humoristiques au ton mordant et provocateur, L'Effet postillon et autres poisons quotidiens entend révéler aux yeux du monde la vérité sur la face cachée de la vie. Non, celle-ci n'est pas si belle! Se convaincre du contraire est une illusion dont on se berce depuis des millénaires. Le livre passe ainsi en revue tous les bâtons mis dans les roues, tous les embarras et désillusions drolatiques, tous les détails sataniques du quotidien dont, au fond, chacun s'accommode comme il peut. N'épargnant rien ni personne, l'auteur nous livre ainsi le tableau cocasse d'un monde qui n'a jamais tourné rond. Un livre idéal pour se rassurer sur nos habituels tracas, qui ne sont pas finalement pas si graves, puisque, à l'évidence, il y a toujours pire ailleurs. Voici la Bible de l'énervement ultime, l'Évangile selon Saint-Râleur.

12,00 €
Parution : Mai 2014
150 pages
ISBN : 978-2-7436-2822-2
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Extrait

Introduction

Dieu est en tout, mais le diable éteint tout. Il écorne goguenard chaque détail du quotidien afin de fignoler son nébuleux dessein : noircir l'existence pour y faire rayonner une constellation de gênes successives et crispantes. La vie démarre à la première tuile qui dégringole du ciel, prophète d'une armée d'autres déconvenues coalisées pour cimenter le règne de l'énervement sur Terre. La vie pourrait être belle, si les raisons légitimes de grogner ne se bousculaient pas autant que le nombre de Wolfgang Schmitt en Allemagne.
À la naissance, je demeurai muet, aucun tapage vocal et baveux en guise de mécontentement. Allô maman ici ronchon. Aussi loin que ma mémoire peut rembobiner, j'ai toujours râlé envers le moindre détail provocateur. Enfant, la vérité sur ce monde cruel m'apparut sous la forme d'un buisson pileux ardent, au fond d'une rame de métro échauffée par l'été. Submergés dans la mer de passagers comprimés, mes cheveux proprets caressèrent sans mon consentement l'aisselle d'un énergumène à l'odeur de poireau périmé. Une auréole maligne s'étendit sur son t-shirt, illumina le sommet de mon crâne : l'esprit malin dégoulinait sur mon être à la vitesse du blanc d'un oeuf cassé. Les effluves de transpiration harcelèrent mes narines et enflammèrent ma cervelle. Je courbai la tête pour tenter de comprendre et vis l'auréole se brouiller. Elle devint étincelante, l'ange de l'énervement m'apparut, qui me chuchota : «Je te salue, toi à qui des crasses seront faites.»
Je m'affalai sur les genoux et, sous l'effet anesthésique de la fragrance de transpiration, plongeai dans un bref coma peu comique. Je devins spectateur d'une expérience d'énervements imminents. Tous les tracas futurs du quotidien défilèrent à vitesse grand V devant mes rétines, chacun soudé à l'autre : gravir un escalator en panne pour se meurtrir les genoux, des genoux couronnés de croûtes douloureuses, des croûtes de pain solides comme du ciment, du ciment frais troué de traces de pattes de souris, une souris d'ordinateur décorée de crasse collante, la colle qui emménage sous les ongles, les ongles de pied qui poignardent les chaussettes, trier des chaussettes au cours d'une soirée célibataire-cacahuètes, une cacahuète en acier qui fissure la dent, un fragment de chocolat couleur charbon coincé toute la journée entre deux dents, dégrafer un paquet de chocolats moisis, un cafard en vadrouille dans un paquet de corn-flakes, des corn-flakes mous, ramasser une crotte de chien molle, les chiens à poils jaunis, les hommes à touffes de poils sur les épaules, les deux poils qui stationnent sous le nez après le rasage, des poils plus bien qui trônent sur un drap immaculé, secouer des draps gavés de poussière, une poussière qui se dépose sur la lentille fraîchement installée, faire avaler des lentilles à un enfant, l'enfant qui lèche la barre du métro, le souffle des postérieurs dans le métro, un pet de bébé, le bébé qui vous tire les cheveux, les cheveux gras, un steak haché constellé de gras, du chocolat pas gras, la sauce chocolat qui usurpe l'identité du chocolat chaud, le gobelet incandescent du chocolat chaud en hiver, les mains arides en cette même saison, se sectionner les phalanges avec la tranche d'une feuille de papier, la photocopieuse qui ne reconnaît pas le bon format papier, les photocopies illisibles, la photo du permis bien visible, l'objectif qu'on perd de vue... Je me réveillai englué aux draps d'un lit d'hôpital. Un bol de soupe en verre orange translucide, qui couvait une mixture à poils de poireaux, me narguait. Il y avait bien une embrouille dans le potage. Ce film accéléré ne fut qu'une goutte d'eau, la bande-annonce du tsunami qui grondait, et c'était moi le chariot. Je dégoupillai la perfusion et sautai du lit. Je me postai à la fenêtre, les pieds frigorifiés par le sol d'où émergeaient les moqueries de bactéries dorées. Je distinguai la ville morose, convaincu d'incarner l'unique guide qui pourrait écarter les eaux tumultueuses de la mouise organisée, le seul prophète prompt à alerter la planète sur le complot qui vise à l'écraser comme une balle de ping-pong. Indiana Jones et le royaume des gênes éternelles. Voici l'Évangile selon saint Râleur.

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