Les Grisettes à Paris

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Editeur : Première Heure

Autrefois on appelait Grisette la simple casaque grise que portaient les femmes du peuple. Bientôt la rhétorique s'en mêla. Les femmes furent appelées comme leur habit. C'était le contenant pour le contenu. Les grisettes ne se doutent guère que leur nom est une métonymie. Mais voyez un peu ce que deviennent les étymologies et les grisettes ! La grisette n'est pas même vêtue de gris. Sa robe est rose l’été, bleue l'hiver. L'été, c'est de la perkaline ; l’hiver, du mérinos.

La grisette n'est plus exclusivement une femme dite du peuple. Il y a des grisettes qui sortent de bon lieu. Elles l'assurent du moins. Je ne sais à quoi cela tient, peut-être à la lecture des romans, mais d'habitude, si la grisette est née en province, elle a failli épouser le fils du sous-préfet de sa petite ville, le fils du maire de son village, quelquefois le maire lui-même. Si Paris fut son berceau, elle eut pour père un vieux capitaine en retraite ; ses bans ont été publiés à la mairie du onzième arrondissement ; son futur était sous-lieutenant ou auteur de mélodrames : le mariage a manqué par suite d'un quiproquo. En général, la grisette a eu des malheurs ; malheurs de famille, mais le plus souvent malheurs d'amour. Toute grisette est nubile.

On reconnaît une grisette à sa démarche, au travail qui l'occupe, à ses amours, à son âge, et enfin à sa mise. J'entends parler surtout de sa coiffure.

La grisette marche de l'orteil, se dandine sur ses hanches, rentre l'estomac, baisse les yeux, vacille légèrement de la tête, et, pour tacher de boue ses fins bas blancs, attend presque toujours le soir.

Elle travaille chez elle, loge en boutique ou va en ville. Elle est brunisseuse, brocheuse, plieuse de journaux, chamoiseuse, chamarreuse, blanchisseuse, gantière, passementière, teinturière, tapissière, mercière, bimbelotière, culottière., giletière, lingère, fleuriste ; elle confectionne des casquettes, coud les coiffes de chapeau, colorie les pains à cacheter et les étiquettes du marchand d'eau de Cologne ; brode en or, en argent, en soie, borde les chaussures, pique les bretelles, ébarbe ou natte les schalls, dévide le coton, l'arrondit en pelotes, découpe les rubans, façonne la cire ou la baleine en bouquets de fleurs, enchaîne les perles au tissu soyeux d'une bourse, polit l'argent, lustre les étoffes ; elle manie l'aiguille, les ciseaux, le poinçon, la lime, le battoir, le gravoir, le pinceau, la pierre sanguine, et dans une foule de travaux obscurs que les gens du monde ne connaissent pas même de nom, la pauvre grisette use péniblement sa jeunesse à gagner trente sous par jour, 547 fr. 50 centimes par an.

Rééedition d'un texte de 1832.

6,80 €
Parution : Octobre 2007
Format: Poche
36 pages
ISBN : 978-2-9172-4605-4