Extrait : Le plus bel endroit du monde est ici

Auteurs : Care Santos, Francesc Mirallès
Editeur : Pocket

Le plus bel endroit du monde est ici

Sous un ciel sans rêves

Le dimanche après-midi est un mauvais moment pour prendre des décisions, surtout lorsque janvier étend sur la ville son manteau gris à étouffer les rêves.
Iris sortit de chez elle après avoir déjeuné seule devant la télé. Jusqu'à la mort de ses parents dans un accident de la route, peu lui importait de n'avoir personne dans sa vie. Peut-être était-ce en raison de sa timidité maladive qu'elle trouvait presque normal, à trente-six ans, de n'avoir connu sur le plan sentimental qu'un amour platonique non payé en retour et quelques rendez-vous sans suite.
Tout avait changé après ce terrible événement. Ses mornes journées de standardiste dans une compagnie d'assurances n'étaient plus compensées par ses week-ends en famille. À présent, elle était seule et, pour ne rien arranger, elle avait perdu sa faculté de rêver.
Il fut un temps où Iris était capable d'imaginer toutes sortes d'aventures pour donner un sens à sa vie. Elle se figurait par exemple travaillant pour une ONG où un coopérant aussi réservé qu'elle lui promettait tacitement un amour éternel, leurs échanges passant uniquement par des poèmes écrits en un langage codé qu'eux seuls pouvaient déchiffrer, retardant ainsi le moment sublime où ils se fondraient en une étreinte interminable.
Ce dimanche-là, pour la première fois, elle prit conscience que tout cela aussi était terminé. Après avoir débarrassé la table et éteint la télévision, un silence oppressant s'abattit sur son petit appartement. Elle eut l'impression de manquer d'air, ouvrit la fenêtre et contempla le ciel plombé, sans oiseaux.
Un sentiment de fatalité l'accabla dès qu'elle fit un pas dans la rue. Elle n'allait nulle part, mais elle avait le pressentiment qu'une chose terrible la guettait et l'aspirait déjà dans un abîme.
Comme chaque dimanche, le quartier résidentiel où elle habitait était désert, aussi esseulé que son âme. Sans savoir pourquoi, elle s'achemina telle une automate en direction du pont sous lequel circulaient les trains de banlieue.
Un vent glacé et sifflant lui fouettait les cheveux tandis qu'elle contemplait la fosse sillonnée de rails qui ressemblaient à des balafres étincelantes. Iris consulta sa montre : 5 heures du soir. Bientôt passerait le train qui se dirigeait vers le nord. Le dimanche, il y en avait un toutes les heures.