Extrait : Au grand comptoir des Halles : Chronique (en noir et blanc)

Auteur : Patrick Cloux
Editeur : Actes Sud Editions

Au grand comptoir des Halles : Chronique (en noir et blanc)

LE VENTRE DE PARIS
Lieu magique ! Voici les Halles ! La force même d’un quartier mythique. Son amplitude. L’écho des siècles du plus vieux marché de Paris. Huit cents ans au bas mot que ce quartier ne dort jamais la nuit. Il faut dire que depuis toujours (ou presque !) le grand estomac, le poumon, l’intestin et le ventre de la ville étaient là, au plein cœur médiéval et noué de Paris. Installé en fondrière, comme un château légendaire le serait dans ses douves. Le trépignant quartier des Halles s’étendait, au fur et à mesure de tant d’encombrements (les Halles n’ayant jamais assez de place), depuis la rue Rambuteau, la rue Poissonnière, pour finir très au-delà du boulevard Sébastopol. Il était central, comme une immense marelle. Elle recoupait et croisait les routes des marchands de draps, de l’arrivée des poissons, de celle du sel, du bois de chauffe. On s’y injuriait comme des charretiers. On y fraternisait d’une tape sur le dos, bien au-delà d’une Babel des lan- gues et des patois. Les gestes et les tâches à faire suffisaient à se faire comprendre. Le boulot débor- dait largement sur les rues. Un temps, il n’y eut qu’à se baisser pour en trouver. Tout se faisait à la main. À traction des bras, du dos et des jarrets.
Un vrai vivier de main-d’œuvre tournante, active et brinquebalante, sédentaire ou fugace. Des tra- jectoires de vie uniques, des parcours obligés de l’apprenti au maître charcutier, de la fleuriste au mandataire.
Les bâtiments des Halles proprement dits étaient une suite de charpentes de fer, imagi- nées et construites par Victor Baltard, en forme de grands parapluies comme l’avait exigé de son maître d’œuvre le fier baron Haussmann, dans une ample et souveraine vision Napoléon III. Paris lui doit en partie sa splendeur, son allure, sa res- piration. Avec Nicolas Chaudun, historien d’art et des mentalités, écrivain au gai savoir, connais- sant Paris avec le cœur, il est bon de se caler à une table de café et de le laisser, enthousiaste et pro- lixe, nous révéler ces temps. “Paris, nous dit-il, ne fut qu’une suite de rêves urbanistiques proférés à voix haute.” Certains se réalisant magistralement : alignement des rues principales, carrefours, mar- chés, avenues, squares, fontaines, trottoirs, égouts. Il fallait sortir à tout prix de cette interpénétration de la campagne dans la ville, faire de Paris aux yeux du monde la ville phare, amorcer l’univers rectiligne et décidé d’un avenir de conquête, de maîtrise des lieux et d’industrie, affirmer ainsi l’image majeure du pouvoir d’entreprendre de la France, digne d’être exporté au travers de tous les continents. L’architecture préludant le plus souvent à la gloire. Dans ses Mémoires, le bon baron, jamais exempt d’un reste d’acrimonie, sou- ligne l’effort de légèreté entrepris par Baltard. “À l’aide d’une heureuse combinaison d’éléments très simples, répétés indéfiniment, il avait su donner à l’ensemble du monument un caractère d’unité du meilleur effet.”