Extrait : Mare nostrum

Auteur : Philippe de La Genardière
Editeur : Actes Sud Editions

Mare nostrum

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Ce qu’il était venu chercher à Port-Venelles, Adelphe ne le savait pas exactement, et il ne se le demandait plus, il avait seulement pris la décision de partir et choisi presque au hasard cette destination, puis, une fois rendu sur les lieux, et pour n’avoir plus à s’interroger sur les raisons de son choix, il s’était dit qu’il était venu là pour y entendre le bruit de la mer.
Mais il avait hésité sur la mer, et le nom de cette mer, incertain, dans l’état où il était, sur les sensations qu’il en attendait, l’Atlantique n’était pas la Méditerranée, la Baltique pas la mer des Caraïbes, leurs ciels, leurs horizons ne renvoyaient pas la même lumière. Et s’il avait hésité sur la nature du rivage, c’est qu’il ignorait ce qui lui ferait le plus de bien, et de bien à son corps, s’il avait besoin de fraîcheur ou de chaleur pour se remettre, si les vents, les embruns de l’océan étaient le remède approprié, ou si au contraire un soleil de feu tombant à l’aplomb sur des eaux étales était la solution à son problème, un problème sur lequel il n’avait encore pas mis les mots.
Et finalement, sans trop savoir pourquoi, ou peut- être parce qu’il avait pris froid à Paris, il avait choisi la Méditerranée, et l’idée de la chaleur, une chaleur toute relative en ce début d’automne. Il avait tapé le nom de cette petite localité sur son ordinateur, puis celui des quelques hôtels auxquels on l’avait renvoyé, et après s’être promené sur leurs sites respectifs, il avait appelé l’hôtel des Roches et demandé s’ils disposaient d’une chambre donnant sur la mer. Ayant obtenu ce qu’il souhaitait, il avait raccroché, soulagé, en se disant que c’était bien ainsi, qu’il avait fait le bon choix et que ce séjour allait le sortir de son ornière, il s’était dit que d’écouter le bruit de la mer, la nuit, ou de la découvrir chaque matin, au réveil, le guérirait – de quel mal, il ne le savait pas bien, mais il en était sûr, il ne serait plus le même homme après ce séjour.
La mer, Adelphe l’aimait depuis toujours, il en avait rêvé, il en avait eu peur, sur ses rivages il avait imaginé des extases et des voyages prodigieux, mais il n’avait encore jamais accompli son vrai rêve de mer, comme il disait, et jamais fait l’amour avec elle. C’était l’idée qui l’avait traversé lorsqu’il avait songé à guérir son âme auprès d’elle, et il s’agissait bien de guérison, puisque la décision de s’y rendre était intervenue dans des circonstances difficiles, un effondrement de toute sa personne, à vrai dire, mais à un âge avancé, alors que les forces lui manquaient. Et parce qu’il se sentait privé de ses forces, l’idée lui était venue de remonter aux origines, à la source (un mot qu’il s’était prononcé à lui-même, et dont il avait compris peu à peu qu’il désignait cette puissance tutélaire qui se trouvait maintenant devant lui et qui s’appelait la mer), oui, il avait choisi de s’en remettre à elle pour venir à bout de son malaise, et s’en délivrer.
De la mer, Adelphe avait toujours pensé qu’il ne fallait jamais trop s’éloigner, ni trop longtemps, mais la vie avait fait de lui un citadin, et il n’avait pas non plus connu ces grandes villes portuaires aux ciels bariolés de fumées noires, de grues et de goélands, qui donnent sur le large et accueillent au son des sirènes les cargos géants venus des quatre continents. Non, sa mer à lui était celle des rivages, et des côtes, avec ses minuscules ports nichés dans des criques escarpées où des voiliers viennent s’abriter des vents et de la trop forte houle, et c’est cette mer-là qu’il avait fréquentée dans son jeune âge, l’été, il y revenait sur le tard, et comme il arrive qu’on retourne sur les lieux de son enfance lors- qu’on est revenu de ses ambitions, qu’on cherche un endroit pour finir ses jours et qu’on n’a rien trouvé de mieux pour cela que sa maison natale, et cette maison, il avait décidé que c’était la mer.