Extrait : Mon désir le plus ardent

Auteur : Pete Fromm
Editeur : Gallmeister éditions

Mon désir le plus ardent

Prologue
Les coups d’œil. Les regards ébahis. Les œillades furtives. Ils plongent Dalt dans une fureur biblique. À deux doigts du châtiment divin. Du calme mon grand, ce n’est pas pour moi. Une vieille chouette en fauteuil roulant, le bras secoué de spasmes ? Ils en ont vu d’autres. Allons, allons. Ce qui fait tourner les têtes, ce qui décroche les mâchoires, c’est Dalt en train de pousser le fauteuil. Dalt, l’inspiration originelle du David de Michel-Ange, maqué avec cette harpie? Évidemment qu’ils nous fixent, évidemment qu’ils se posent des questions. Je m’en pose bien, moi.
Mais si je suis dans un bon jour, que les mots glissent facilement le long de mes synapses en loques, je leur dis :
— Et encore, ça, ce n’est rien. Vous devriez nous voir au lit.
Voilà qui leur en bouche un coin.
Je devrais avoir dépassé ce stade, mais je ne sais pas comment réagir autrement : défier le destin, faire comme si de rien n’était. Rien qui puisse nous séparer, jamais.
Tous ces inconnus ne voient que les tics, le fauteuil, le pauvre homme en sueur derrière, préposé aux poignées. Mais lorsque ma respiration flanche, qu’il me faut trouver une chose à laquelle me raccrocher pour me convaincre que nous aurons toujours la force d’avancer, je retourne à mon point d’ancrage : le lendemain de notre première nuit ensemble. Aujourd’hui encore, quand je me rappelle combien j’étais éblouie, combien j’osais à peine y croire, j’en ai le souffle court. D’ailleurs, je ne suis toujours pas sûre de le croire, que nous survivrons même à cela. Mais ce matin-là, nous étions tous les deux si forts que le Wyoming n’était qu’une toile de fond, et nos pensées ne s’étendaient pas plus loin que la friction des pagaies contre nos paumes, le grondement de la rivière sous nos pieds. Les fauteuils roulants – et les pauvres types coincés dedans – nous étaient aussi étrangers que des extraterrestres.