Apaiser Hitler

Ils voulaient la paix, ils eurent le déshonneur et la guerre...
Auteur : Tim Bouverie
Editeur : Flammarion

Dans les années qui suivirent la Grande Guerre, le désir d’éviter un nouveau conflit fut peut-être le souhait le mieux partagé en Europe. Le « Plus jamais ça ! » résonnerait longtemps dans les oreilles des Européens. Une opinion générale qui allait peser sur l’avenir et serait au cœ ur de la politique d’apaisement voulue par les Anglais.
En reconstituant les tractations qui se jouèrent jour après jour pour « apaiser Hitler », Tim Bouverie fait revivre ici le marché de dupes que le Führer imposa aux Européens dès 1933. Il montre que les situations ne sont jamais inspirées par le seul aveuglement de quelques-uns – quand d’autres avaient immédiatement perçu ce qui allait se jouer – mais le fruit d’une équipe perméable à son époque.
Tour à tour vue de Londres, Paris ou Berlin, cette histoire se trame dans le secret des chancelleries, comme en témoignent de nombreuses archives, désormais accessibles. Sous la plume de Bouverie, le récit se fait haletant jusqu’à la fin. Avec une rare maîtrise, l’auteur retrace la fuite en avant de la politique nazie et les innombrables coups de bluff du Führer, qui ne manqua jamais une occasion de se présenter comme un pacifiste auprès de ses interlocuteurs étrangers.

Traduction (Anglais) : Séverine Weiss
29,00 €
Parution : Janvier 2020
672 pages
ISBN : 978-2-0814-9612-5
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Extrait

Préface
« PLUS JAMAIS ÇA ! »
Le désir d’éviter une nouvelle guerre mondiale fut peut-être le souhait le plus compréhensible et le plus répandu de l’histoire. Plus de 16,5 millions de personnes moururent pendant la Première. Les Britanniques perdirent 723 000 vies humaines ; les Français, 1,7 million ; les Russes, 1,8 million ; l’Empire britannique, 230 000 ; et les Allemands, plus de 2 millions. Vingt mille soldats britanniques succombèrent le premier jour de la bataille de la Somme, et l’ossuaire de Douaumont contient les restes de quelque 130 000 soldats français et allemands – un sixième à peine de ceux tués au cours des trois cent deux jours que dura la bataille de Verdun. Parmi les survivants, rares étaient ceux qui n’avaient pas souffert. Presque tout le monde avait un père, un mari, un fils, un frère, un cousin, un fiancé ou un ami qui avait été tué ou était revenu mutilé de la guerre. Quand elle prit fin, même les vainqueurs n’avaient pas le cœur à la victoire. Le Cénotaphe, inauguré au cœur de Londres le 19 juin 1919, n’était pas un arc de triomphe mais bien un symbole de deuil. Tous les ans, le jour de l’Armistice, des milliers de Britanniques défilaient devant lui dans un silence lugubre, tandis que, des deux côtés de la Manche, des écoles, des villages, des villes et des gares commémoraient leurs amis et collègues devant leur propre monument aux morts. Dans les années qui suivirent le premier conflit mondial, ce fut toujours le même refrain, aussi unanime que déterminé : « Plus jamais ça ! »
Et pourtant, cela recommença.
En dépit de leur bonne volonté, et de leurs efforts de conciliation comme de dissuasion, Britanniques et Français se retrouvèrent à se battre contre le même adversaire que lors de la « der des ders », à peine vingt et un an plus tôt. L’objectif de ce livre est d’essayer de mieux comprendre comment nous en sommes arrivés là.
Le débat concernant la politique d’apaisement – la tentative britannique et française, au cours des années 1930, d’éviter la guerre en faisant des concessions « raisonnables » aux doléances allemandes et italiennes – est aussi durable que vif. Condamnée d’un côté comme « désastre moral et matériel » responsable du conflit le plus meurtrier de l’histoire, cette politique est également décrite comme « une idée noble, enracinée dans le christianisme, le courage et le bon sens 1 ». Entre ces deux extrêmes existe une foule de nuances, de sous-arguments et de polémiques. L’histoire est rarement tranchée.
Pourtant, les prétendues leçons tirées de cette époque ont été invoquées par divers politiciens et experts, notamment en Grande-Bretagne et aux États-Unis, pour justifier une série d’interventions étrangères – en Corée, à Suez, à Cuba, au Vietnam, aux Malouines, au Kosovo et (par deux fois) en Irak ; inversement, toute tentative d’accord avec un ancien adversaire est systématiquement comparée aux tristement célèbres accords de Munich de 1938. Quand j’ai commencé à faire des recherches pour cet ouvrage, au printemps 2016, les conservateurs américains brandissaient le spectre de Neville Chamberlain pour fustiger l’accord du président Obama sur le nucléaire iranien ; tandis qu’aujourd’hui le concept d’apaisement connaît un regain d’intérêt alors même que l’Occident lutte pour répondre au revanchisme et à l’agressivité de la Russie. Un nouvel examen de cette politique, telle qu’elle fut originellement conçue et mise en œuvre, paraît donc aussi opportun que justifié.
Bien entendu, il existe déjà une vaste littérature sur le sujet – quoique moins abondante et plus obsolète qu’on ne pourrait le croire. En effet, si les livres consacrés à la Seconde Guerre mondiale se sont multipliés au cours des vingt dernières années, la période précédant la catastrophe et les causes du conflit a été relativement négligée. En outre, même s’il existe nombre d’excellents ouvrages sur la politique d’apaisement, la plupart ont tendance à se concentrer sur un événement particulier, tels les accords de Munich, ou sur une personnalité bien précise. Je voulais pour ma part couvrir l’ensemble de la période – de la nomination d’Hitler au poste de chancelier à la fin de la « drôle de guerre » –, de manière à montrer l’évolution de cette politique et des positions de chacun. Je souhaitais ainsi dresser un tableau plus vaste que celui ne montrant que les principaux protagonistes. Le désir d’éviter la guerre en parvenant à un modus vivendi avec les dictatures n’était pas propre aux gouvernements, et si les figures de Chamberlain, Halifax, Churchill, Daladier et Roosevelt sont au cœur de cette histoire, je me suis aussi intéressé aux agissements de personnalités moins connues, en particulier les diplomates amateurs. Enfin, j’ai voulu écrire un véritable récit rendant compte de l’incertitude, des dilemmes et du caractère dramatique de l’époque. Bien que livrant d’un bout à l’autre des commentaires et des analyses, cet ouvrage a donc pour principal objectif de bâtir une histoire chronologique – fondée sur des journaux intimes, des lettres, des articles de presse et des dépêches diplomatiques –, afin de guider le lecteur à travers ces années tumultueuses. Pour ce faire, j’ai eu la chance d’avoir accès à plus de quarante collections de documents privés – dont plusieurs fournissant des éléments nouveaux et tout à fait passionnants. Pour ne pas perturber le fil narratif, j’ai choisi de ne pas souligner la présence de ces trouvailles mais, dans la mesure du possible, de privilégier les sources inédites sur les sources publiées, en termes de longueur comme de fréquence.
Un ouvrage sur les relations internationales a, par nature, une portée internationale. Aussi étrange que cela puisse paraître aujourd’hui, la Grande-Bretagne des années 1930 était encore, du moins en théorie, le pays le plus puissant du monde – et s’affirmait fièrement comme le cœur d’un empire couvrant un quart du globe. Il était cependant évident que l’Amérique ne tarderait pas à devenir la première puissance mondiale. Mais les États-Unis s’étaient repliés dans l’isolationnisme au lendemain de la Première Guerre, tandis que la France – le seul autre pays capable de freiner les ambitions allemandes – choisit de renoncer à toute initiative diplomatique et militaire, laissant les Britanniques mener le jeu. La Grande-Bretagne aurait préféré ne pas se mêler des affaires du continent, mais se rendit vite compte qu’elle était (et était perçue comme) la seule puissance capable d’assurer le leadership diplomatique, moral et militaire nécessaire pour arrêter Hitler et mettre fin à sa volonté d’hégémonie européenne.
Les décisions qui affecteraient non seulement la Grande-Bretagne, mais potentiellement le monde entier, furent prises par un nombre remarquablement restreint de gens. À ce titre, les pages qui suivent peuvent être perçues comme l’ultime justification d’une conception de l’histoire fondée sur la « haute politique », à savoir les relations internationales et la sécurité.
Pourtant, ces hommes (car il s’agit presque exclusivement d’hommes) n’agissaient pas en vase clos. Extrêmement conscients des contraintes politiques, financières, militaires et diplomatiques de leur pays – qu’elles fussent réelles ou imaginaires –, les dirigeants politiques britanniques n’en étaient pas moins attentifs à l’opinion publique. À une époque où les sondages d’opinion commençaient à peine à se développer, c’était là un « concept amorphe », bien sûr. Il existait pourtant bel et bien – on le devine dans les lettres ouvertes aux journaux, dans les échanges écrits ou les conversations avec les électeurs ; et on le traitait déjà avec le plus grand sérieux. Pendant la plus grande partie des années 1930, les dirigeants démocratiquement élus de Grande-Bretagne et de France demeurèrent convaincus que leurs populations refuseraient d’apporter leur soutien à une politique risquant de mener à la guerre, et agirent en conséquence. Mais si la guerre était inévitable ? Et si Hitler s’avérait insatiable ? Et si le désir même d’éviter la guerre ne la rendait que plus susceptible d’advenir ?

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