Comment sommes-nous devenus réacs ?

Auteur : Frédérique Matonti
Editeur : Fayard

Aucune digue n’empêche plus aujourd’hui les représentants de l’extrême droite, voire de l’ultra-droite, d’intervenir dans les médias sous couvert d’objectivité et de respect de la pluralité politique. Certains offrent même une tribune de choix aux plus fervents réacs. Lesquels y dénoncent pêle-mêle l’islamo-gauchisme, le wokisme, la cancel culture (« on ne peut plus rien dire »), l’immigration incontrôlée ; à l’inverse, les tentatives d’expliquer sociologiquement un événement ou un comportement sont fréquemment assimilées à la « culture de l’excuse » et par là même dévaluées. Il n’en a pas toujours été ainsi.
L’omniprésence de ces discours est un symptôme de la modification plus générale des débats publics et des nombreuses batailles culturelles (à commencer par la lutte contre le racisme) que la gauche a perdues. Si l’on reprend toute la chaîne qui conduit de la production jusqu’à la diffusion des idées, les équilibres se sont considérablement modifiés depuis les années 1970. Des nouvelles règles du monde intellectuel à la concentration de l’édition et des médias, en passant par la transformation des partis politiques, tout est fait pour que les fast thinkers et les experts auto-proclamés triomphent et portent haut la voix de la réaction. Jusqu’à quand ?

Cet ouvrage a été commencé avant la pandémie de Covid-19, qui a plongé la France et une bonne partie du monde dans les confinements et les restrictions de circulation. Ce n’est pas notre objet d’analyser ici les éventuelles défaillances du gouvernement français, d’autres l’ont fait. L’épidémie, au-delà des morts, a agi comme un puissant et cruel révélateur. Des fragilités des services publics, à commencer par celle de l’hôpital. De l’impératif suprême du marché et du profit, qui a conduit à délocaliser la fabrication des médicaments et des masques, et donc à la pénurie, mais aussi à maintenir à leurs postes sans grande protection de nombreuses professions, souvent les plus mal payées et les moins bien considérées. De la division sexuelle du travail, qui continue à cantonner les femmes aux métiers du soin et aux tâches les plus précaires, alors que le féminisme est pourtant censé avoir triomphé – si ce n’est avoir mené à la guerre des sexes. De la surveillance policière des populations les plus pauvres et souvent issues de l’immigration, toujours suspectées de ne pas respecter les consignes de sécurité. De leur dénonciation inlassable sur les plateaux de télévision par les piliers réactionnaires des chaînes d’information. Des émissions à fort taux d’audience où de pseudo-experts et des animateurs, régulièrement avertis pourtant par le CSA, arbitrent de tout, et même de l’usage des médicaments ou des vaccins et des dates de confinement et déconfinement. De la forte présence d’analyses qui valorisent la responsabilité individuelle aux dépens de celles qui réfléchissent en termes d’inégalités et de solutions collectives. Comment les thèses et les pratiques les plus conservatrices ont-elles pu ainsi gagner droit de cité, s’incarner en autant de politiques publiques et conquérir de si nombreux porte-parole ? C’est ce que nous allons raconter ici. Il ne s’agit pas seulement de le déplorer, mais aussi de préparer une nouvelle hégémonie culturelle pour leur répondre.

18,00 €
Parution : Novembre 2021
208 pages
ISBN : 978-2-2137-1647-3
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