Oeuvres Tome 12

Auteur : Jaures Jean
Editeur : Fayard
En deux mots...

Penser dans la mêlée, tel est le titre donné à ce volume qui plus que d’autres permet une plongée au cœur de la difficile élaboration du mouvement socialiste et de l’action ouvrière. S’élevant tout autant contre l’ordre établi incarné par un gouvernement inapte à défendre les plus faibles que contre la tentation de la violence qui s’impose dans certains courants révolutionnaires, Jaurès déploie sa plume et sa voix pour porter son action.

Jean-François Chanet est professeur d’histoire contemporaine à l’Institut d’études politiques de Paris et vice-président de la Société d’études jaurésiennes. Emmanuel Jousse est professeur agrégé et docteur en histoire, secrétaire général de la Société d’études jaurésiennes.

35,00 €
Parution : Janvier 2021
550 pages
ISBN : 978-2-2137-1765-4
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Présentation de l'éditeur

Jean Jaurès, Penser dans la mêlée, 1907-1910, édition établie par Jean-François Chanet et Emmanuel Jousse

La période de 1907 à 1910 est apparemment confuse. Le gouvernement Clemenceau ne réalise guère ses promesses de réforme, qu’elles soient sociales ou démocratiques. Les tensions sont exacerbées par la répression des grèves et des manifestations. Période de mêlée, de lutte sociale intense, qui force Jaurès à mieux définir la méthode du socialisme et la place de l’action ouvrière.
Le contexte politique, dominé par les divisions et la dilution autant du parti radical que du camp modéré, ne favorise aucune clarification. La représentation proportionnelle aux élections serait-elle une solution ? Bien qu’unis depuis 1905, les socialistes peinent à trouver le ton juste. Faut-il se défier davantage de l’opportunisme des indépendants, comme Aristide Briand ou René Viviani, désormais ministres ? Ou des débordements du syndicalisme révolutionnaire prôné par la majorité de la CGT, susceptibles de conduire à la violence et à l’isolement ? Comment faire avancer de grandes réformes sociales, comme l’institution d’un système de retraites ouvrières et paysannes ?
Cette période de mêlée force Jaurès à penser en même temps qu’il avance. C’est l’époque de son fameux discours au congrès de Toulouse en 1908, où il expose « l’évolution révolutionnaire » dont se revendiqueront nombre de ses héritiers au xxe siècle et après. C’est l’époque de ses grandes joutes contre Clemenceau et Briand, occasions de clarifier les principes républicains sur lesquels il édifie son socialisme. Le regard toujours porté sur l’Internationale, autant que sur son Midi occitan, Jaurès cherche tout autant à armer le mouvement ouvrier dans sa lutte contre le danger de guerre qu’à penser la diplomatie et l’armée d’une république vraiment démocratique.

Extrait

Le discours que Jaurès prononce le 17 octobre 1908 au congrès de Toulouse est sans doute celui qui peut le mieux caractériser la période 1907-1910 dans sa carrière et dans son œuvre. Rangé dans la catégorie consacrée de « synthèse jaurésienne », il revient sur une question qui préoccupe Jaurès depuis son entrée en socialisme au début des années 1890 : comment l’idéal peut-il s’inscrire dans l’expérience vivante de la classe ouvrière ? Le problème de la « méthode socialiste » ne se réduit pas au choix simple et définitif entre réforme et révolution. Le discours le rappelle, de même que les articles que nous avons choisis pour le replacer dans son contexte. Mieux qu’une amélioration ponctuelle arrachée par un conflit ou une négociation, la réforme telle que Jaurès la définit est un acte de conquête, ouvrant d’autres luttes et réalisant le projet socialiste. Elle n’a aucune valeur si elle n’est pas portée, autant que la « révolution », par l’organisation du prolétariat en son parti, ses syndicats, ses coopératives, ses associations. Dès lors, réformes ou révolution ne sont que les manifestations diverses de l’organisation par laquelle doit passer la réalisation de la démocratie ouvrière.
Or cette organisation tient beaucoup du contexte qui la nourrit. Celui de 1908 n’est plus celui des heures du « militant ouvrier » ou de l’affaire Dreyfus, que les volumes précédents ont restitué. L’unité acquise au congrès de la salle du Globe en avril 1905 est encore fragile, menacée par les rivalités permanentes de groupes ou d’idées. Jaurès doit ainsi batailler contre la vieille garde guesdiste, qui réaffirme, avec Lafargue, qu’aucune réforme sociale ne peut améliorer durablement la condition ouvrière. Il doit aussi répondre à la génération montante, impatiente, d’Hubert Lagardelle qui théorise au Mouvement socialiste une spontanéité révolutionnaire présente dans les ateliers plutôt que dans les assemblées. Et il faut aussi compter avec Gustave Hervé qui provoque, tempête, menace de fonder son propre mouvement révolutionnaire dont La Guerre sociale serait le bastion avancé. En somme, l’unité reste un combat, et tout particulièrement une lutte oratoire.
Contre l’argument de la vanité des réformes face à un État oppresseur, Jaurès appelle à ne point négliger le fait que l’attitude de l’État envers la classe ouvrière a changé au tournant du siècle. Des lois ont été votées, des institutions ont été esquissées. D’autre part, le socialisme s’est affirmé comme une force politique depuis l’affaire Dreyfus. Les conditions sont réunies pour que l’évolution démocratique ménage aux réformes une place essentielle dans les méthodes de réalisation de l’idéal socialiste. Mais cette tendance de fond vient butter sur l’hostilité récente et vive du monde ouvrier. Le gouvernement Clemenceau enlise les réformes sociales dans une stratégie confuse et dilatoire, l’épanouissement du syndicalisme révolutionnaire traduit à la fois la réaction à la répression violente des grèves et l’impatience de voir enfin se réaliser des mesures attendues.
Le discours de Jaurès à Toulouse, discours fleuve par sa durée – cinq heures – et par les perspectives qu’il ouvre, est donc moins une synthèse qu’une feuille de route. Il met en relief les chantiers à poursuivre (retraites ouvrières et paysannes, impôts sur le revenu) en soulignant qu’ils participent de la construction d’une démocratie socialiste.

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