Le chien : Histoire d'un objet de compagnie

Auteur : Victoria Vanneau
Editeur : Editions Autrement

Lucrèce le considérait comme un ami « au cœur fidèle ». Descartes en a fait une machine. Dans les mythes, il est tantôt serviteur du Mal, tantôt serviteur de Dieu. Mais de qui parle-t-on, au juste ? Du chien, bien sûr !
Depuis que les philosophes de l’Antiquité ont évoqué la question de l’âme des animaux, une vaste querelle est ouverte : faut-il ranger les chiens dans la catégorie des choses, ou dans celle des personnes ? Si le code napoléonien de 1804 indiquait que le canis familiaris n’était ni plus ni moins qu’une table, une loi a permis, en 2015, de faire reconnaître sa dimension affective. Alors, le chien est-il enfin devenu quelqu’un ?
De la pratique de la vivisection au voyage de Laïka dans l’espace en passant par l’anthropocentrisme religieux, cette longue bataille pour la reconnaissance d’une « personne animale » mérite bien une histoire.

8,00 €
Parution : Mars 2020
224 pages
ISBN : 978-2-7467-5414-0
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Extrait

Prologue

18 juin 1814. Au théâtre de la Gaîté, à Paris, est joué pour la première fois Le Chien de Montargis, ou la forêt de Bondy. Le succès est immédiat. La pièce se donne à guichets fermés. Durant vingt ans, les spectateurs, petits et grands, venus en famille, se pressent pour applaudir le personnage principal : un chien. Trois chiens, à vrai dire. Vendredi, Catulle et Miro se succéderont dans le rôle-titre. Mais l’engouement pour ces acteurs du genus caninum tient moins à leur talent qu’à l’histoire à laquelle ils prêtent vie. C’est que ce mélodrame écrit par le célèbre dramaturge René Charles Guilbert de Pixérécourt s’inspire de l’une de ces légendes médiévales dont le xixe siècle raffole tant. L’histoire reprend, en effet, le thème ancien du chien qui dénonce l’assassin de son maître et l’affronte en combat singulier.
Les faits remontent au xive siècle, sous le règne de Charles V. L’intrigue en elle-même se noue autour de l’amitié contrariée par la jalousie que le chevalier Richard de Macaire entretient à l’égard de son compagnon, Aubry de Montdidier. Macaire envie furieusement la faveur que le roi porte à Montdidier. Il épie alors ses moindres faits et gestes, attendant le moment fatidique où il pourra mettre à exécution le funeste projet de l’assassiner. Cet instant arrive un jour de l’an 1371, lorsque le roi charge son favori de se rendre auprès du châtelain de Lagny. La compagnie d’archers à laquelle les deux protagonistes appartiennent stationne justement au village de Bondy. Or, pour remplir sa mission, Montdidier doit traverser la forêt voisine, alors réputée pour sa dangerosité. Il se met donc en route, accompagné de son fidèle compagnon, un grand lévrier, répondant, dit-on, au nom de Verbaux.
C’est au beau milieu de la forêt que se déroule l’attaque. Pour mener à bien sa sordide entreprise, Macaire s’est adjoint l’aide d’un complice. Lorsqu’ils voient s’approcher Montdidier et son chien, les deux brigands se jettent sur eux. Verbaux cherche à défendre son infortuné maître. En vain : les deux assaillants réussissent à le neutraliser et à l’attacher au moyen d’une ceinture à un tronc d’arbre. Malgré tous ses efforts pour se défaire de son lien, le chien Verbaux assiste impuissant au massacre de son ami.
« Que t’ai-je fait, méchant ? Comme toi, je suis militaire, crois-tu par un assassinat te dérober à l’infamie ? Dieu témoin de cet attentat te fera connaître un jour pour être le meurtrier d’un des plus zélés serviteurs du Roi et de la France. Tremble, la Justice et la loi me vengeront ! », s’écrie Montdidier, succombant sous le fer assassin de Macaire. Leur forfait commis, les deux criminels se mettent à creuser une fosse pour enterrer le corps de leur victime. Puis ils prennent la fuite, laissant derrière eux le chien gémissant attaché à l’arbre.
Au bout de quelque temps, Verbaux se libère. Sa fidélité le pousse à veiller la tombe de son maître. Mais bientôt la faim le contraint à entreprendre le voyage jusqu’au village. Là, par de tristes hurlements, des aboiements extraordinaires, il tente de faire comprendre aux hommes que quelque chose est arrivé. Tantôt, il tire leurs vêtements. Tantôt, il va au-devant d’eux pour leur dire de le suivre.
Certains, qui le voient ainsi aller et venir, errer dans les rues, efflanqué et hors d’haleine, lui donnent à manger et à boire ; d’autres décident de savoir ce que cache cette douleur. C’est alors qu’ils le suivent jusque dans la forêt. Le lévrier les mène près de l’arbre fatal, s’arrête devant un monceau de terre fraîchement retournée, puis se met à la gratter vigoureusement avec ses pattes ensanglantées afin de découvrir le corps mort de son maître. On reconnaît aussitôt Montdidier, dont l’absence depuis quelques jours avait paru suspecte. Une sépulture plus digne lui est donnée, sans jamais pouvoir connaître la vérité sur sa triste fin.
Le chien, lui, est confié à un proche parent du défunt. Un jour qu’il se promène en compagnie de ce dernier, soit est-ce le fait du hasard soit « une permission du Dieu des hommes », Verbaux reconnaît Macaire, qui « semblait jouir de l’impunité de son crime avec une espèce de sécurité ». L’attaque est violente. Le chien se précipite sur le scélérat, le couvre de morsures, le saisit à la gorge. Les gentilshommes et les archers présents peinent à dégager l’homme des crocs de l’animal. Ils le battent, le chassent. Mais toujours il revient. Il grogne. Il aboie de loin, menaçant l’assassin de son bien-aimé maître. Les jours passent et, à chaque fois, les assauts du chien redoublent contre cet homme. Il semble lui courir après comme pour se venger. On soupçonne alors Macaire d’être pour quelque chose dans la disparition de Montdidier.
Charles V, averti de l’obstination du chien envers son archer, veut à son tour en savoir plus sur les mouvements de la bête. Il les convie donc tous les deux à la cour et ordonne que le gentilhomme se cache parmi l’assistance. On fait alors pénétrer le chien qui, dans sa furie accoutumée, se rue sans hésitation sur Macaire. Et d’un pitoyable aboiement, comme s’il sentait que la présence du roi lui était favorable, il crie vengeance.
Macaire, interrogé par le roi sur la mort de son favori, nie les faits. Ni les attaques et les aboiements répétés du chien, ni la rumeur publique venue corroborer ce comportement accusateur n’ébranlent le chevalier. La honte et la crainte de mourir supplicié le confortent dans ses dénégations. C’est alors que le roi ordonne que la plainte du chien et les récusations de Macaire soient purgées dans un combat singulier : le chevalier sera confronté à son accusateur sans son armure, muni simplement d’un gros bâton ; le chien, qui usera de sa force naturelle, aura pour refuge un tonneau percé aux deux bouts. Sous l’œil vigilant de la Providence, la vérité devait nécessairement éclater.
Une arène est aménagée pour l’occasion, dans un enclos de l’île Notre-Dame, à Paris. Et là, en présence du roi, de toute sa cour et d’une foule amassée en nombre, le duel débute. Bien que Macaire soit réputé pour sa force et son adresse, le chien esquive les coups. Courant autour de lui, se postant d’un côté, puis de l’autre, le lévrier parvient à sauter à la gorge du traître et à le faire chuter. Il serre si fort le cou de son ennemi que celui-ci supplie le roi qu’on le dégage de la mâchoire de la bête, et promet qu’il dira tout. On écarte le chien, les juges s’avancent, et Macaire, devant tous, confesse qu’il a tué son compagnon, à l’abri de tous les regards, sauf celui du chien de Montdidier. Macaire est reconnu coupable. Puis pendu, quelque temps après.

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