Rien à cette magie
Entre 1733 et 1734, Chardin peint trois fois Les Bulles de savon, trois versions très proches d'une même scène : un jeune homme s'amuse à faire des bulles sous l'oeil curieux d'un enfant à moitié dans l'ombre. Proust prétendait qu'on ne peut faire d'aussi précieuses découvertes que dans les Pensées de Pascal dans une réclame pour un savon, ou dans une bulle de savon, a-t-on envie d'ajouter avec Suzanne Doppelt.
À partir de ce célèbre tableau de Chardin, elle invente un livre conçu comme un petit théâtre d'ombres et de marionnettes, un étonnant dispositif poétique et photographique pour tenter d'accom- pagner la construction de ce tableau. Le livre revisite ainsi de façon très originale le thème de la vanité. Il ne s'agit pas simplement d'histoire de l'art, même si les descriptions tendent parfois vers une certaine forme d'objectivité, ni même de philosophie. Le texte poétique joue à tourner autour de ce tableau, au plus près de cette séquence mélancolique où l'on voit une petite sphère sur le point d'exploser. Comme pour rechercher une solution aérienne qui préserverait fugitivement la lumière de l'enfance, la bulle doit être soufflée à nouveau, indéfiniment, et le texte, à la façon d'une ritournelle, revient à cette figure spectrale - une manière de rythmer le temps, sujet central de cette image.