Marc Chagall : Monstres,chimères et figures hybrides

Auteur : Francine Mariani-Ducray
Editeur : RMN

Lorsque Marc Chagall entreprend, au seuil de la Seconde Guerre mondiale, de peindre Les Mariés de la tour Eiffel, les résonan­ces modernistes se font encore entendre dans son oeuvre mais sur un mode que nous pourrions qualifier de mezzopiano. La célèbre construction architecturale et les cercles solaires qui l'illuminent ne sont pas en effet sans rappeler le voisinage orphique de Robert et Sonia Delaunay et les personnages voletant dans l'azur bleuté les principes aériens d'une certaine vision surréaliste. Mais les enjeux ne sont déjà plus vraiment ici et, par bien des aspects, c'est une voie autre dans laquelle l'artiste semble alors vouloir s'engager. De nombreux autres tableaux viendront bientôt confirmer ce que, moins explicitement peut-être, de plus anciennes oeuvres disaient déjà. L'attachement à la terre, à son enfance, à Vitebsk, sa ville natale, fréquemment évoquée en quelque coin de la toile, à la Jérusalem céleste avec laquelle parfois elle apprendrait à se confondre, à l'épo­pée du peuple juif dont les errements imposés par les brutalités de l'histoire trouvent dans la flottaison des personnages dans l'espace du tableau une sorte de définition sereine et apaisée. L'attachement revendiqué à une certaine forme d'intériorité qui, sans s'inquiéter du fort contraste qu'il affiche avec les temps, préside dorénavant à toute création. L'attachement encore à certaines figures imaginaires qui, recourant aux raccords iconographiques, aux collages des formes, aux constructions improbables, peuplent les oeuvres de Marc Chagall et l'entraînent dans une histoire de l'art ou une histoire des images si riche d'exemples.

C'est ainsi que, dans le coin supérieur droit de Les Mariés de la tour Eiffel, un curieux montage se donne à voir, mêlant la figure d'un animal à celle d'un instrument de musique, elle-même associée à celle d'un homme. Il ne s'agit pas d'une juxtaposition d'éléments distincts mais bien d'une représentation combinant trois espèces différentes et, pour tout dire, non réductibles les unes aux autres. Trois genres qui, dans un croisement subtil, déterminent pourtant une composition à la fois hallucinée et convaincante. La synthèse figurative d'éléments disparates que Marc Chagall aime à faire ici a été précédée et sera suivie de maints autres exemples. Dédié à ma fiancée de 1911, Paris par la fenêtre de 1914, L'Homme-coq au-dessus de Vitebsk de 1925, Entre chien et loup de 1938-1939, Le Songe d'une nuit d'été de 1939, La Pendule à l'aile bleue de 1949, La Femme-coq de 1956-1966 sont autant d'oeuvres qui informent sur le type de greffes que Marc Chagall opère si fréquemment. Elles mettent en scène des figures hybrides qui le plus souvent trouvent dans les silhouettes anthropoïdes les moyens de leur développement le plus adapté. Il est aisé de se rendre compte de la permanence de telles compositions, de l'exemplarité de leur ajustement biomorphique, de leur incidence sur le climat qui règne dans chaque oeuvre qui les abrite. Telle figure d'homme-violon ou d'homme-pendule, telle figure de poisson ou de chèvre violoniste, d'âne-peintre, de personnage-maison, de femme-coq ou de cheval volant participe d'un bestiaire personnel (mais aussi bien, herbier de formes humaines ou réservoir d'objets figurés) que l'artiste met au point au fil du temps et duquel très régulièrement il tirera des déclinaisons chaque fois subtilement différenciées.

35,00 €
Parution : Juillet 2007
144 pages
ISBN : 978-2-7118-5326-7
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