La Révolte des anges

Anatole France a volé les couleurs de la révolte, le visage de Lucifer, à la fresque peinte par Delacroix à Paris, dans l'église Saint-Sulpice. Il y consacre du reste de nombreuses pages. Delacroix fit une scandaleuse représentation d'anges dont les visages, loin de rayonner de béatitude, se figent plutôt en d'horribles rictus méditant leur révolte. C'est précisément ce scandale, s'immisçant dans la sérénité paradisiaque, qui a donné l'idée de ce roman à Anatole France. La Révolte des anges est un texte qui rassemble à la fois la tradition de l'angélologie scolastique, des épisodes de la Bible, des influences gnostiques, des dérivations manichéennes, des opinions classiques, des préjugés courants sur les anges et les démons.

Imagination, audace intellectuelle, ironie parfois cruelle, souvent impertinente, telles sont - écrit Pierre Boulle, dans la préface consacrée à la Révolte des Anges - les qualités que réclamait sa jeunesse et que recherche encore la jeunesse d'aujourd'hui. « Plus de cinquante ans après - ajoute-t-il - j'ai conservé mon admiration pour ces vertus, mais j'ai un autre sujet de respect et même de vénération pour l'auteur de ce livre. C'est son talent de mettre en valeur une certaine pensée, en se contentant de l'illustrer par une action, par des aventures pittoresques qui en éclairent l'essence... ».

L'action de la Révolte des Anges se déroule à Paris peu avant la Première Guerre mondiale. Anatole France a imaginé que des anges, pour la seconde fois révoltés contre les pouvoirs du Ciel, descendent sur la Terre où ils préparent une vaste insurrection tendant à renverser, au profit de Satan, jadis détrôné, le maître qu'ils servaient. Quand les anges déchus sont sur le point d'être victorieux, Lucifer, en qui ses troupes exaltées voient le ferment de tout progrès, suspend le combat. Il renonce au triomphe qui s'offre à lui car « Dieu vaincu deviendra Satan, Satan vainqueur deviendra Dieu »... Le Pouvoir crée la tyrannie. Celui qui s'en est emparé est semblable à son prédécesseur. Sans qu'il soit besoin de référence historiques, on voit la permanence d'une pareille vision, qui rend cette oeuvre de France actuelle à jamais