Agone, N° 43, 2010 : Comment le genre trouble la classe

L’association entre féminisme et postmodernisme semble désormais acquise. La lutte contre l’oppression des femmes s’est renouvelée avec les apports de la critique des "grands récits", des Lumières et de l’universalisme voire de la démocratie ; sans oublier la dénonciation du savoir comme pouvoir. Un projet autrement progressiste que la seule amélioration institutionnelle du statut des femmes mise en oeuvre par les États ou les partis qui se succèdent au pouvoir. (Ne citons que l’objectif de l’OCDE : mettre 60 % des femmes sur le marché du travail en 2010, présenté comme l’aboutissement des revendications d’égalité des femmes.) Sous le nom de postféminisme, le "travestissement" et le développement du potentiel des sexualités multiples sont érigés en moyens de subvertir les identités, les codes et les rôles sociaux ; cette approche voulant "dénaturaliser" le genre, l’hétérosexualité et les "injonctions normatives qui constituent les sujets sexuels", révélés comme autant de dispositifs d’oppression jusque-là inaperçus. Dans ce programme, le "jeu performatif" de création de nouvelles identités aurait un rôle libérateur : changer la manière de dire le social pour changer le monde. Le French feminism au coeur de ce renouvellement est le produit d’une appropriation, par une partie de l’université américaine, de références françaises, au sein desquelles manquent singulièrement les auteures qui, de Christine Delphy à Colette Guillaumin et Nicole-Claude Mathieu, sont pourtant les théoriciennes majeures du féminisme "français", en l’occurrence matérialiste.
Ce numéro veut interroger les apports du postféminisme dans la remise en cause de l’économie politique des rôles sociaux de sexe, mesurée aux exigences du féminisme matérialiste comme "démarche qui ne saurait se limiter à la seule population, à la seule oppression des femmes".