Mai 68, une contre-révolution réussie : Modeste contribution aux discours et cérémonies officielles du dixième anniversaire

Modeste contribution aux discours et cérémonies officielles du dixième anniversaire
Auteur : Régis Debray
Editeur : Mille et une nuits

Pendant la commémoration du 10e anniversaire de Mai, au printemps 1978, Régis Debray écrit dans le feu des (auto)célébrations un texte vigoureux qui cherche à dessiller tous ceux qui sont encore/toujours pris dans les « illusions lyriques » (l'expression est de lui). Il donne son manuscrit à François Maspero qui le fait paraître immédiatement.
Pour résumer succinctement son propos, il montre que « Mai 68 est le berceau de la nouvelle société bourgeoise », que celle-ci est déjà advenue, que ceux qui se présentent comme les « ayants droit » de 68 ont capté pour eux-mêmes les postes dans les médias, qu'ils sont aux manettes, et que les révolutionnaires romantiques ont été et sont souvent encore les dupes d'un néo-capitalisme qui a vécu dans ces événements sa crise d'ajustement : le capitalisme ne pouvait que se conjuguer qu'avec des moeurs libérales pour franchir une étape... vers le néo-libéralisme (qu'il nomme néo-capitalisme).
En cet épisode de contre-révolution s'est nouée l'alliance objective entre les libertaires et les libéraux (« la grande trouvaille de l'après-Mai : le libéralisme économique n'est pas marié avec le conservatisme social »). La thèse est aujourd'hui assez répandue, et ce depuis la fin des années 1990. En 1978, elle claque comme un coup de tonnerre.
Debray brise l'intouchable, « c'est vilain de dire du mal de ce qui fut beau » ; il est inacceptable de déclarer que les « acteurs » d'hier sont des contestataires en peau de lapin. Ceux qui entendent la charge de Régis Debray la perçoivent comme venant d'une posture tiers-mondiste : cette pseudo-révolution au Nord, qui ne bouscule en rien le système capitaliste, passe à côté de l'enjeu majeur de l'époque - qui est toujours notre actualité : réduire les écarts avec les pays du Sud, où l'on se bat encore pour une vraie révolution. En fait, l'auteur décrit assez précisément des logiques et des lignes de force qui restructurent toute la société post-68 ; il inventorie toutes les idées qui sédimenteront bien plus tard en une série de dogmes servant la pensée unique : « moins d'Etat », « la politique ne vaut rien », l'écologie et le repli sur l'individualisme, l'éloge des femmes et des minorités ; l'alignement de l'idéologie française sur l'idéologie américaine, notamment en matière économique. Par bien des aspects, le texte est séminal, il est parcouru de quelques visions fulgurantes (la « libération » des ondes et l'inondation de publicité, demain, de tous les médias).
Debray avait vu juste sur la société qui allait avoir le triomphe éclatant dès le début des années 1980. Son texte n'a pas pris une ride, et il est plus éclairant que jamais. Régis Debray n'est pas un soixante-huitard. Et pour cause : en 1968, il purge sa peine en prison, après sa condamnation par le tribunal militaire de Camiri. En 1966-67, il a suivi le Che dans l'aventure bolivienne qui a tourné court et s'est achevée par l'assassinat de Guevara. Debray a été arrêté, jugé, condamné. Il ne sortira des geôles boliviennes qu'en 1971 pour aller s'installer au Chili où il rencontre Salvador Allende et Pablo Neruda. Debray ne rentre définitivement en France qu'en 1973. Mai 68 n'est donc pas son histoire. C'est peut-être là l'une des raisons de sa grande lucidité. Il fait d'ailleurs allusion à son absence dans le texte : « Mai [...] a fait césure. Partir de France en 1965 et y revenir en 1971 constitue à cet égard une expérimentation plus éclairante peut-être que le contact continu. [...] Le Persan qui débarque n'en croit pas ses oreilles. Son absence à Mai l'aurait-il rendu un peu plus sensible aux effets de Mai ? » Debray s'inscrit à nouveau, très vite, dans le paysage intellectuel français. Il publie beaucoup, prend ses distances avec la lutte armée. Il est bientôt reconnu pour ses talents d'écrivain : en 1977, La neige brûle reçoit le prix Femina.

10,20 €
Parution : Avril 2008
147 pages
ISBN : 978-2-7555-0062-2
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