Cantates évasives et autres poèmes. : Edition bilingue français-italien

Editeur : L'Act Mem

UNE DES CONSTANTES de la poésie de Cesare Ruffato est l'ambiguïté de son rapport au poème en tant qu'objet à la fois craint et désiré, puisqu'il renvoie, par sa netteté excessive, à la part fragile, informe, qui lui a donné naissance. Le poème est fruit du désir comme du destin, de la révolte contre toutes les déterminations mais aussi de la conscience d'une inéluctable issue. Dans les poèmes écrits après la mort de sa fille, victime de la drogue, Ruffato introduit des mots qui, par leur nature clinique ou technique, produisent un effet d'extrême violence. La frustration qui en découle est comme le prix à payer au nom de la pudeur. Le poète ne conserve aucune illusion quant à la capacité qu'aurait le langage à tenir l'abîme ou les ténèbres en respect. Mais il cherche la fin de toute médiation et, pour ce faire, doit d'abord épuiser, obstinément, de nombreux instruments linguistiques. La poésie de Ruffato, éruptive et savante, fragmentaire et tendue vers une impossible unité, libertaire et moraliste, élégiaque et narquoise, visant à dépasser la sphère du sentiment pour ajointer la langue à ce qu'on peut nommer un discours du vivant, rejoint le réel en exhibant d'abord toute la sophistication du langage, mais pour s'en libérer. Ce serait donc un assez lourd contresens que de voir dans cette œuvre un culte exclusif de la langue et de ses jeux. Ruffato se défie de chacune de ses " trouvailles "et ne cesse d'affirmer, par son écriture même, que la création poétique est fondée sur la destruction de modèles, de schémas et de moules qui, au départ, semblaient dignes d'appréhender le vrai. Au risque d'une apparente incohérence, le poète-radiologue n'investigue le réel, dans ses structures cachées, que pour mieux poursuivre sa tâche d'effraction, de fuite dans la métaphore continue, dans l'invention perpétuelle.
Bernard SIMEONE