Mot à mot

Florentine a quatre-vingt-six ans. Sa vie, elle l'a passée dans le centre de la France, à la ferme, d'abord chez son père, puis chez son mari, et aujourd'hui, aux environs de l'an 2000, avec ses petits-enfants. Florentine est veuve. Elle regrette souvent l'absence de son mari, un bon mari, même si tous deux ne se comprenaient pas toujours.
A la différence de son mari, Florentine, par exemple, a toujours aimé les mots. Mais à la campagne, on ne parle guère. Pour compenser, Florentine a lu, beaucoup, tout ce qui lui tombait sous la main.
Aujourd'hui, Florentine en veut à ses petits-enfants : pour qu'elle leur raconte sa vie, que cette mémoire d'un autre temps ne se perde pas, ils ont demandé à un " écrivain " de venir l'interviewer. Elle parlera, lui écrira. Mais Florentine ne veut pas raconter sa vie à un étranger.
Alors Florentine se révolte. Elle a toujours rêvé de vivre dans une maison neuve, avec une belle salle de bains. Justement, un petit lotissement est en cours d'achèvement dans son village. Et Florentine fugue. Elle s'offre en secret, dans une maison neuve et vide, quelques jours de bonheur pur. De réflexion aussi. Elle se repasse le film de sa vie, note ce qui a changé, essaie de comprendre les difficultés auxquelles se heurtent aujourd'hui les campagnes et quel peut être leur avenir.
Sur tout cela, Florentine essaie de mettre des mots. Les siens. Et ainsi, mot à mot, le portrait se dessine d'une femme énergique et sensible, qui, refusant l'enfermement dans la nostalgie, opte résolument pour la vie.