Jean Paul II, la fin d'un règne : Les 25 ans d'un pontificat controversé

Auteur : Collectif

Editeur : Golias

Le spectacle est devenu insupportable. On détourne le regard, même devant la télé, pour ne pas se sentir voyeur. On n'ose plus regarder ce visage figé, cette bouche paralysée de laquelle s'échappe, goutte à goutte, la salive. Triste image d'un pape en agonie, qui s'acharne dans son rôle. Sa volonté peut impressionner, mais pas ainsi, dans ce spectacle organisé, dont la star est devenu un chariot.

Pourtant elle est logique, cette agonie vécue en public, parce s'y affirme une certaine idée de la pontificature. Jean-Paul II aurait-il réussi : faire apparaître le pape comme un double de Dieu ? Il s'en défendrait, sans doute sincèrement, si on lui disait, mais dans les faits, c'est ainsi. Il s'est forgé une image à laquelle bien des chrétiens s'accrochent : ils n'ont plus rien d'autre. Le pape a en lui la Vérité, il sait tout ce qui est bon pour l'Eglise et le Monde, et encore davantage tout ce qui est mauvais. Il en joue. Toutes ses paroles deviennent "de foi". Des chrétiens se sécurisent de ce roc : je crois de la foi de la Jean-Paul II. Par procuration. Il est si impressionnant. Il est devenu le seul point de repère, le sauveur, sur cette terre folle.

Dommage, il avait tout pour faire un pape des temps modernes : intelligent, brillant, beau et sportif, drôle même quand il le fallait. Son passage sur les planches, dans sa jeunesse, lui avait donné une sacrée maîtrise des podiums, et les jeunes en étaient renversés. Il avait tout pour lui, toutes les qualités. Dommage, il s'en est servi pour le retour en arrière, dans la nostalgie des périodes de grande chrétienté (qui reste encore à prouver). Il a pris le monde entier, la planète, l'univers même pour une paroisse polonaise des années 1950, gérée d'une poigne ferme par un curé craint, respecté, obéi.

Sa tâche n'était pas facile : les secousses du monde des années 60 avaient besoin d'être apprivoisées, le concile même qui avait créé un grand courant d'air et avait fait voler les papiers des dicastères avait besoin d'être digéré. Tout cela avait ébranlé bien des gens. Mais fallait-il pour cela vouloir en revenir à la situation antérieure, tenter l'impossible : refaire l'Eglise de toujours (qui pourtant n'a jamais existé) ? Ses voyages ont fait illusion. Sa présence était-elle devenue magique, qu'elle allait convertir tout le monde, les jeunes en particulier et en faire des chrétiens pratiquants et surtout obéissants. Le feu de paille allait-il embraser le monde ? La déception est grande, reconnue même par les autorités.

Il a joué de son charisme, il en a usé, abusé, jusqu'à la corde, comme s'il n'y avait que lui, comme si le travail ne se faisait que grâce à lui, comme si sa seule présence allait faire des miracles. La collégialité, à tous les niveaux, a été ignorée, suspectée, combattue. Ca commençait à trop ressembler à la démocratie. Et ça, la démocratie, il la veut bien quand elle est opposée au communisme, mais ailleurs, il s'en méfie. Et dans l'Eglise, il veut bannir tout ce qui peut lui ressembler.

Car le pape voit du rouge partout. Il en avait souffert étant jeune, d'accord, mais est-ce une raison pour regarder le monde entier comme constamment menacé de stalinisme ? Cet anticommunisme maladif a tué tous les ressorts du changement. Alors, à Rome, sous sa responsabilité, on casse la théologie de la Libération. On se méfie, et on le fait savoir, des communautés de base au Brésil et ailleurs. On exclut, on condamne. Camara, Romero, Ruiz sont à vite oublier. Et tant pis si le vide et la déception poussent aujourd'hui des centaines de milliers de catholiques, en Amérique latine, dans les bras de prêcheurs américains, plus proches, plus chauds, mais qui trop souvent sentent par trop la secte. Qu'importe, tout plutôt que le rouge. On fréquente Pinochet, on le décore même de la médaille des familles chrétiennes…

Et puis les années passent, le discours se durcit. Le SIDA est à la une, et la parole papale apparaît à beaucoup comme criminelle. Encouragés par l'enseignement du pape, les catholiques "intransigeants" qui n'avaient pas désarmé, mais s'étaient faits discrets, relèvent la tête. L'Opus négocie la canonisation de son fondateur , des chrétiens n'ont pas peur de s'appeler "légionnaires" et font bénir leurs troupes. La "Reconquista", la reconquête est en marche.

Les années passent encore. Le pape baisse, garde ses forces pour ses voyages, laisse les chefs de services se partager le pouvoir devenu en partie vacant, emplit le Vatican de prélats parmi les plus conservateurs, ne gère plus les ambitieux qui lorgnent vers le trône. Et le Vatican redevient, dans les mains des apparatchiks, une machine à interdire. Le dehors, la diplomatie restent parfois ouverts, la paix, les droits de l'homme, l'œcuménisme, mais le comportement interne ne connaît aucune ouverture. Au contraire même. Si Jean-Paul II avait appliqué dans l'Eglise le discours qu'il tenait à l'extérieur, quel changement il y aurait eu !

Aujourd'hui, la machine du Syllabus est en route. Aux dernières nouvelles, on en arrive à vouloir empêcher les filles de servir la messe. Pourtant, dans l'Eglise, la femme a toujours été de service, mais, faut-il le rappeler, pas du service divin, trop près du sacré réservé aux mâles.

Cette fin, tragique dans son spectacle offert aux caméras, devient grotesque. Jusqu'où ira cette dérive ? Demain est-ce l'Eglise qui aura besoin d'un chariot ?

Pas de doute, le pape Jean-Paul II est un homme intègre. Il vit sa foi à sa manière et sait rester fidèle à lui-même, tout en demeurant très attaché à l'autorité de l'Église. L'avantage avec lui, c'est que l'on sait au moins à quoi s'en tenir. On pourrait le prendre au mot. Cela le rendrait presque sympathique...
Pendant les premières années du pontificat de Jean-Paul II, de nombreux catholiques se sont enthousiasmés. Ce pape si proche des hommes et si prompt à se rallier leurs suffrages, faisait figure de héros populaire. Mais à l'époque, nombreux sont ceux aussi qui, emportés par leur joie, n'ont pas prêté attention aux conceptions philosophiques, religieuses, et psychologiques rétrogrades de Jean-Paul II, toutes droites issues des années 20 et 30. Des conceptions si profondément enracinées dans l'Église que le concile Vatican II n'a réussi à les faire disparaître que pendant un temps.
Avec la collaboration de spécialistes et experts du catholicisme contemporain, l’ouvrage Jean Paul II, la fin d’un règne fait le bilan des 25 ans d’un pontificat controversé.

19,00 €
Parution : Octobre 2003
378 pages
ISBN : 978-2-9144-7517-4
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