La Chambre d'amis

Au chômage quelques années après la guerre, un ancien pilote, sa femme et leur fils précoce se mettent à construire des avions miniatures pour un marchand de jouets.
« Nous vivions dans une bulle paisible et chaleureuse, à l'abri de tout. Le thé restait bien chaud sur une petite flamme, la brise nous apportait les bruits du dehors par la porte ouverte sur le balcon. » Le coeur de ce roman - l'univers miniature de l'enfance - éveille en nous le merveilleux monde clos de ces boules de verre au décor de rêve, où de gracieux flocons tourbillonnent au moindre secouement. Magnifiquement servi par son style sensible et elliptique, Marcel Möring évoque finement le bonheur tranquille d'une modeste famille néerlandaise. Mais le roman se complexifie bientôt, éclate en tableaux contrastés et plonge ses racines dans un passé peuplé de personnages singuliers, sur un fond de guerre et d'holocauste. Dès lors l'enfance du narrateur acquiert une profondeur insoupçonnée et révèle ses demi-teintes, ses ambiguïtés et ses fractures secrètes. Et c'est seulement alors qu'un visiteur inattendu, surgi du passé et porteur de calamité, viendra bouleverser la vie des Speijer dans la grande maison des dunes. Pages admirables traversées par la pluie, le vent et les ténèbres de la mer du Nord, où les éléments ont force d'allégorie, où les affres des amours interdites apparaissent en filigrane dans les désarrois du jeune garçon qui erre dans la nuit.
S'il joue à ravir de la mélancolie et de l'allusion, Marcel Möring manie tout aussi bien la drôlerie piquante qui s'allie à la loufoquerie, et puis il aura eu l'intelligence de ne pas se confiner à la nostalgie. Ainsi ce roman, véritable illustration de la métamorphose permanente des sociétés, touche-t-il à l'universel en débouchant du passé sur le monde contemporain voué au métissage (racial aussi bien que culturel), où le rapport à l'histoire sera sans cesse à réinventer à la lumière de la possession en commun d'un riche héritage de souvenirs.