Le vol du vampire
Publier un livre, nous dit Michel Tournier, c'est procéder à un lâcher de vampires. Car un livre est un oiseau sec, exsangue, avide de chaleur humaine, et, lorsqu'il s'envole, c'est à la recherche d'un lecteur, être de chair et de sang, sur lequel il pourra se poser afin de se gonfler de sa vie et de ses rêves. Ainsi le livre devient ce qu'il a vocation d'être : une œuvre vivante. Une cinquantaine de livres sont donc venus se poser sur le lecteur Tournier, lequel, ayant une plume à la main, a essayé de décrire les fruits imaginaires que ces semences produisaient dans sa tête. Il en résulte une suite de brefs essais, qui vont de Charles Perrault à Jean-Paul Sartre et de Novalis à Günter Grass, où la joie d'écrire s'ajoute au bonheur de lire.
Dans ce recueil qui date de 1981, on trouvera une trentaine de textes critiques et de chroniques, réunis sans autre fil conducteur que les goûts de Michel Tournier, sa longue fréquentation de la littérature allemande, ici, un terrifiant (et bouleversant) dossier de lettres et comptes rendus de police sur le suicide de Kleist et d'Henriette Vogel, des auteurs classiques (Flaubert, Balzac ou Stendhal) comme de ceux du XXe siècle. Sur le plan critique, Michel Tournier fait preuve bien sûr d'une érudition sans failles, qu'il s'agisse d'histoire littéraire ou de philosophie, son dada, et l'on a plaisir à le suivre, à l'écouter disserter, nous apprendre mille et une choses à chaque détour de cette promenade littéraire. Certes, ses opinions n'ont rien de renversant, et ne choqueront ni n'enthousiasmeront sans doute personne, contrairement à Partis pris de Nabokov ou à La Légende dispersée de Bailly : on pourra donc parfois regretter le caractère un peu conventionnel de ces pages, y compris dans l'écriture, mais le lecteur n'en passe pas moins un moment fort agréable, et en excellente compagnie. --Scarbo