Comment tu es devenue ma fille

Auteur : Carolyn Hays
Editeur : Flammarion

C’est une famille presque ordinaire : un père, une mère, quatre enfants drôles et intelligents, avec de forts caractères. La maison, dans une petite ville du sud des États-Unis, est bruyante et pleine de vie. Le dernier né est un garçon de 3,1 kg, dont tous célèbrent la venue. Dès qu’il a pu parler, il a dit à toute sa famille qu’elle avait tort : il était une fille.
Aimante et courageuse, la famille se mobilise, abandonne le prénom masculin et opte pour un surnom neutre. La vie poursuit son cours jusqu’à ce qu’un jour, un enquêteur du Département de l’enfance frappe à leur porte.
Ainsi commence Comment tu es devenue ma fille, récit de vie et lettre d’une mère à son enfant devenu une fille de treize ans aujourd’hui. Confrontée à cette épreuve qui touche un nombre grandissant de parents, cette mère de famille se lance dans une vaste enquête. De l’architecture délicate et complexe du cerveau, à l’existence de personnes transgenres à travers l’histoire, de la Chine ancienne à Jeanne d’Arc, en passant par la longue histoire des bals travestis, la botanique, le féminisme et les membres fantômes, Carolyn Hays célèbre la richesse du passage entre les sexes, de la métamorphose.

Traduction : Héloïse Esquié
21,90 €
Parution : Janvier 2022
416 pages
ISBN : 978-2-0802-4689-9
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Extrait

Cette histoire n'est pas une tragédie.
Mais elle a commencé comme tant de tragédies – de manière atrocement tranquille, par un événement banal, familier, sans éclat. Elle a commencé par un coup frappé à la porte.
Je n'ai pas entendu. J'étais en train d'écrire dans la dépendance reliée à la maison par ce qu'on appelait le passage sans vent.
Ta grande sœur a ouvert ; elle est venue me chercher.
Cet instant, ce coup à la porte a transformé nos vies pour toujours. Il a créé des failles qui demeurent : il y a eu nos vies avant, il y a eu nos vies après. À partir de là, tout a changé. Se sont insinués dans nos vies une panique, un chagrin et une peur informe qui ne s'en iront jamais tout à fait.
Tu étais au centre de ce marasme, mais nous t'en avons protégée ton père et moi, ta grande sœur et tes deux grands frères. Cette histoire, je te l'ai finalement racontée quand tu as eu neuf ans. Entre-temps, nous avions quitté cette maison, quitté cet État du Sud. Nous avions décampé à 1 600 km de là, dans le Nord. Mais je craignais que cet épisode surgisse inopinément dans une conversation – de la bouche d'une tante, d'un ami, de quelqu'un qui supputerait que tu le connaissais, vu qu'il te concernait. Et je ne voulais pas que tu l'apprennes par quelqu'un d'autre.
Je t'en ai raconté une version expurgée, assise sur un canapé inondé de soleil dans notre salon. Nous avons déménagé si souvent que ce canapé inondé de soleil se confond dans mon esprit avec le suivant – d'un salon à l'autre, comme si chaque salon était un wagon d'un train qui passerait à toute vitesse. Voilà comment ça s'est passé. Un homme était à la porte, envoyé par le Département des Enfants et des Familles. Il était là pour enquêter sur nous, en tant que parents. Il y avait eu une plainte. La plainte portait sur ta transidentité, et nous avons vite appris que dans cet État du sud dont les juges étaient nommés par les Républicains, nous pouvions perdre la garde. Nous pouvions te perdre. C'était cela que j'ai essayé d'expliquer – le coup frappé à la porte et ce qui s'est passé dans les jours, les semaines, les mois qui ont suivi. Quand j'ai eu fini, tu n'as pas posé de questions et tu n'as jamais demandé à réentendre ce récit.
Mais j'estime que tu as le droit de connaître les faits dans le détail. Je m'engage à te révéler les vérités brutales de cette histoire, ton histoire. Pendant longtemps, je n'ai pas su comment m'y prendre. À présent, je sais. Je te dirai aussi les vérités les plus belles. C'est comme ça qu'il faut faire. C'est comme ça qu'on doit préparer les enfants au monde. (Je ne sais pas comment préparer les enfants à ce monde.)
Ce qui s'est passé nous a bouleversés, et pourtant, nous a révélés. Avant ce coup frappé à la porte, notre idée de la famille – de ce que nous ferions les uns pour les autres en situation de crise – était théorique. Elle est devenue concrète.
Ce qui nous est arrivé ne devrait arriver à personne. Il n'empêche que c'est arrivé, que ça continue d'arriver, encore aujourd'hui, à des familles comme la nôtre.
Notre façon d'y réagir nous a fait comprendre qui nous sommes. Ce que nous avons fait pour toi, nous avons compris tout à coup que nous le ferions pour n'importe lequel d'entre nous.
Cependant, au bout du compte, ce n'est qu'une fraction de ton histoire dans son ensemble, et ça ne te définit pas.

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