Nom

Auteur : Constance Debré
Editeur : Flammarion

« J’ai un programme politique. Je suis pour la suppression de l’héritage, de l’obligation alimentaire entre ascendants et descendants, je suis pour la suppression de l’autorité parentale, je suis pour l’abolition du mariage, je suis pour que les enfants soient éloignés de leurs parents au plus jeune âge, je suis pour l’abolition de la filiation, je suis pour l’abolition du nom de famille, je suis contre la tutelle, la minorité, je suis contre le patrimoine, je suis contre le domicile, la nationalité, je suis pour la suppression de l’état civil, je suis pour la suppression de la famille, je suis pour la suppression de l’enfance aussi si on peut. »

19,00 €
Parution : Février 2022
192 pages
ISBN : 978-2-0815-1593-2
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Extrait

Elle trempe le gant dans la bassine d’eau tiède, elle le passe sur le visage, elle baisse le drap, elle baisse le pyjama, elle passe le gant sur le sexe mort de mon père, elle remonte le drap au-dessus de la taille, elle me demande une chemise, je me tourne vers le placard, je prends une chemise que je pose sur le lit, elle prend mon père par les épaules, elle essaye de lui enlever sa veste de pyjama, les bras ne se déplient pas, elle s’empêtre, je la vois qui s’empêtre, je me penche, allez je me penche, j’attrape l’épaule froide, je glisse mon bras derrière son dos froid, je mets ma main dans sa main froide, je tire le bras bloqué, je pense à Rigidité Cadavérique, j’enlève le pyjama, je mets la chemise, je repose mon père contre l’oreiller, elle range les deux pompes, elle enlève les tuyaux, elle ramasse les poches de morphine et de sédatif, elle les met dans une mallette spéciale avec un code, c’est pour récupérer la morphine qu’elle est venue, C’est la procédure, elle m’a dit au téléphone, le gant la chemise c’est son idée, elle a dit On ne peut pas le laisser comme ça, elle s’en va, il fait toujours nuit, je retourne dans la cuisine, je refais du café, le jour se lève, il fait beau, je sens l’odeur sèche du jardin, à huit heures et demie je prends la carte bleue de mon père sur la cheminée, je prends la Peugeot, la 206 trois portes diesel 197 000 kilomètres achetée à Touraine Occasions il y a quelques jours, je vais au distributeur du Super U, j’hésite sur le montant, je tire deux cents euros.
Il fait déjà chaud quand je rentre, je ferme les volets de la chambre, je le regarde, il a déjà changé, plus tiré, plus cireux, les pompes funèbres passeront quand on aura le certificat du médecin, il ne faut pas trop tarder avec la chaleur, je reste dans la maison avec la chaleur qui monte, je suis seule avec lui, comme cette nuit, comme toutes les nuits de ces dernières semaines, c’est calme, c’est nouveau ce calme, c’est le silence, la machine à oxygène qu’on n’entend plus, parfois je passe dans sa chambre, j’entre, je regarde.
Le médecin frappe à la porte, je lui ouvre, il va dans la chambre, il constate, on retourne dans le salon, il fait le certificat, il dit qu’il aimait bien mon père, que c’était un patient particulier mais qu’il l’aimait bien, je me dis qu’il doit dire ça à chaque fois, à chaque mort, qu’il doit penser que ça fait plaisir, il me prend dans ses bras, c’est gênant, je suis raide, ça ne dure pas, il me donne le certificat, tire-toi, tire-toi t’entends, il se tire.
Ma sœur arrive avec son mari, elle porte des lunettes de soleil comme aux enterrements de star, elle pleure, elle n’ose pas aller le voir, je l’accompagne, ils déjeunent, moi je ne déjeune pas, je veux aller nager après, d’habitude j’y vais plus tôt, les pompes funèbres débarquent, ils garent leur camion devant la maison, ils sont deux ou trois types je ne sais plus, que des hommes, peut-être que c’est un métier d’homme, je leur donne le certificat, je signe des papiers, ma sœur retourne dans la chambre de mon père, je l’entends qui lui parle, elle pleure fort, elle dit en pleurant qu’elle ne veut pas qu’ils l’emportent, j’y vais ou bien son mari je ne sais plus, on lui parle, elle se calme, je leur dis de partir, de rentrer chez eux, ils habitent en face, de l’autre côté de la Loire, ils ont quitté Paris, je leur dis que je vais m’occuper des pompes funèbres, vous aussi tirez-vous, ils s’en vont, les types des pompes funèbres sortent la civière en métal de leur camion, frigorifique je me demande, ils vont dans la chambre, je leur donne des affaires pour mon père dans le cercueil, je leur donne un jean, une autre chemise bleue, une paire de Clarks, un slip, des chaussettes, je vais dehors, dans la rue devant la maison, ils passent la porte avec mon père dans la housse en plastique sur la civière en métal, je dis Donc les pieds devant c’est les pieds devant, les types des pompes funèbres ne répondent pas, à travers la housse en plastique opaque mais transparent je vois les mèches de cheveux blancs de mon père, ils glissent mon père à l’arrière du camion, ils se tirent, ils se tirent eux aussi, lui aussi, je retourne dans la maison, je suis seule, la maison est vide, il y a du soleil, je vais dans sa chambre, je regarde, je passe dans le salon, je prends mon sac de piscine, je ressors, je reprends la Peugeot, Touraine Occasions c’est juste en bas, sur la levée, dans la zone industrielle près de la Loire, je roule, il fait beau, je traverse le Cher, je prends direction Tours Nord, je me gare sur le parking du Centre aquatique du Lac, un bassin de cinquante, je nage tous les jours, je nage.

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