Autopsie du cadavre

Auteur : Olivier Pérou
Editeur : Fayard
En deux mots...

L’histoire secrète d’un crime politique féroce, où la victime est le Parti socialiste et les suspects ne manquent pas. Quand la réalité dépasse le thriller…

19,00 €
Parution : Octobre 2022
198 pages
ISBN : 978-2-2137-2519-2

Présentation de l'éditeur

Un crime politique a été commis. Il est 20 heures, ce 10 avril 2022, et le Parti socialiste est mort. Anne Hidalgo, sa candidate à l’élection présidentielle, n’a recueilli que 1,7 % des suffrages. Le pire score de l’histoire du parti.
Qui donc a tué le PS ? Autour du cadavre, trop de suspects, trop de mobiles et si peu d’alibis. Est-ce Anne Hidalgo, dont la campagne, famélique et chaotique, aura été la dernière du parti tel qu’on l’a connu ? François Hollande, un président au quinquennat irrésolu dont les secousses sismiques n’en finissent pas, et qui s’agite secrètement pour tenter un impossible retour ? Bernard Cazeneuve, qui n’a pas eu le courage de porter le drapeau, d’être candidat comme beaucoup le lui demandaient ? Arnaud Montebourg, mû par l’orgueil ? Christiane Taubira, persuadée d’être intouchable et dont l’envie de revanche sur les socialistes venait de si loin ? Jean-Luc Mélenchon, qui l’a prise, lui, sa revanche sur cet appareil qui l’a vu grandir et qu’il a tant détesté ? Qu’en est-il du discret et énigmatique Olivier Faure, qui a fait allégeance aux forces radicales de la gauche ?

Sept suspects, mais un seul assassin.

Ce livre raconte de l’intérieur la campagne présidentielle du Parti socialiste, la chute tragique et la mort d’une force politique qui a donné deux présidents à la Ve République, régné sur le territoire avec ses baronnies du Sud, du Nord et de l’Ouest.

Une enquête politique et policière.

Extrait

Minuit a sonné. Ce n’est déjà plus le 10 avril. La nuit luit encore, baignée par la lumière de toutes ces voitures qui arpentent le périphérique et de tous ces boulevards avec leurs cafés incandescents. À Ivry-sur-Seine, aux portes de la capitale, le silence et l’obscurité ont envahi la longue rue Molière, si bien qu’on la croit sans vie. À l’étage du numéro 99 pourtant, un bureau toutes ampoules allumées. C’est celui d’Olivier Faure. Le Premier secrétaire du Parti socialiste s’est enfoncé dans le grand fauteuil de son immense burlingue aux cloisons vitrées. Il tire longuement sur sa cigarette électronique jusqu’à déclencher un gargouillis visqueux. Cela agace ses quelques invités, des amis socialistes, avachis dans les fauteuils à l’autre bout de la pièce. Ce ne sont que des fidèles : son vieil ami de trente ans, élu de l’Ouest, Christophe Clergeau ; Luc Broussy qui préside le conseil national du parti ; Sébastien Vincini, le maire d’une petite bourgade non loin de Toulouse ; et Pierre Jouvet, lui aussi édile d’une ville aux 4 000 âmes dans la Drôme.
Jean Jaurès, le célèbre, est lui aussi présent, sur l’immense photographie qui orne tout un pan de mur. On le voit perché sur une tribune du Pré-Saint-Gervais, le 25 mai de l’année 1913. Il harangue la foule des travailleurs et semble observer Faure et ses comparses du coin de l’œil. L’assemblée ne pipe mot, pendant de longues minutes. Les regards sont sépulcraux. C’est qu’ils ont vu un mort ce soir-là.

Le Parti socialiste a été assassiné, quelques heures plus tôt, vers 20 heures. La Faucheuse a prononcé sa sentence. Elle a le visage des présentateurs de télévision. Elle a la crinière blonde sur France 2, brune sur France 3 et grisonnante sur TF1. Il a fallu attendre de longues minutes, les yeux rivés sur le petit écran. On a entendu les noms s’égrener, un à un, lentement et cruellement. « Emmanuel Macron », « Marine Le Pen », « Jean-Luc Mélenchon », puis un silence. Le reste ensuite : « Éric Zemmour », « Valérie Pécresse », « Yannick Jadot », « Nicolas Dupont-Aignan ». Et enfin : « Anne Hidalgo ». Ce 10 avril 2022, la candidate du PS réalise le pire score de toute l’histoire du parti à une élection présidentielle. Le pire : 1,7 petit pour cent. Six cent seize mille quatre cent soixante-dix-huit voix. Dans le bureau d’Olivier Faure, on balbutie : « Que fait-on maintenant ? »
Il faut dire que le PS avait bien des ennemis. Des dizaines, sinon des centaines. On a si souvent craint pour sa vie et annoncé sa mort. Après la disparition de François Mitterrand, le 8 janvier 1996 ; après la défaite de Lionel Jospin, le 21 avril 2002, où l’on vit Jean-Marie Le Pen accéder au second tour de l’élection présidentielle ; avec les frondeurs, qu’on accusait de dynamiter le quinquennat de François Hollande, entre 2012 et 2017 ; avec François Hollande lui-même, qu’on blâmait pour avoir trahi les idéaux socialistes et qui fit le choix de la désertion en 2017, après l’échec historique de Benoît Hamon la même année ; à cause d’Emmanuel Macron, aussi. À chaque épreuve, pourtant, il s’était relevé, tant bien que mal, parfois pour le meilleur, souvent pour le pire. Cette fois-ci, c’en est pourtant bel et bien fini. On ne se relève pas d’un score si tragique à une élection présidentielle.
Il ne reste plus grand monde pour pleurer, ni électeurs à l’évidence, ni vieille garde non plus, ni ex-président, ni militants. On comptait trente-huit mille adhérents au congrès de 2018, lorsque Olivier Faure fut désigné sur le trône aux roses. À celui de Villeurbanne, en septembre 2021, aux prémices de la campagne présidentielle, il n’y en avait plus que vingt mille. Et dire que, treize ans plus tôt, au congrès de Reims en 2008, ils étaient deux cent trente-trois mille. L’hémorragie a affaibli cette vieille force politique. Qui se souvient qu’elle a structuré le paysage de la Ve République pendant une quarantaine d’années, dont dix-neuf au pouvoir avec ses deux présidents au même prénom ?
Certains irréductibles affirmaient qu’il ne fallait pas s’inquiéter, qu’il restait des bastions roses, chèrement acquis et sauvés dans la tempête des dernières élections locales. Il y avait la Bretagne, l’Occitanie, l’Aquitaine ; il y avait Lille, Rennes, Marseille, Montpellier, Paris, Nantes et tant d’autres, mais aucun de ces maires-là ne se revendiquait vraiment socialiste. Ils avaient soigneusement évité d’afficher le poing et la rose sur leurs affiches, préférant le vert, plus moderne, que l’alizarine socialiste. La machine à victoire est devenue obsolète, prise en étau entre Emmanuel Macron, Europe Écologie-Les Verts et Jean-Luc Mélenchon. Le premier aura siphonné les réformistes, les autres lui auront volé un vent de jeunesse et le dernier, qui fut socialiste, la radicalité. Le PS n’avait plus la force d’exercer le pouvoir, n’avait plus d’idées à revendre. La culture du pouvoir l’a quitté quand, après l’élection présidentielle, Olivier Faure a décidé de se ranger derrière Jean-Luc Mélenchon pour s’affaler dans le confort de l’opposition. Il a perdu la tête. Est-il le sujet d’une gauche populiste, qui n’est là que pour témoigner ? Est-il l’héritier de Mitterrand, qui part en quête du pouvoir pour « changer la vie » ?
Le Parti socialiste gît, poignardé à mort. Le voisinage n’avait rien vu, rien entendu, mais il y avait ceux qui, depuis des mois, prêchaient le malheur. Des oiseaux de mauvais augure qu’on n’avait pas vraiment crus. Le « baron noir » était de ceux-là. Il n’arrêtait pas de crier au loup, hurlait dans le Tout-Paris qu’on voulait attenter à la vie du PS. Lui, Julien Dray, le virtuose des stratagèmes politiques, né à la gauche de la gauche, chez les trotskistes avec Mélenchon, indispensable à François Mitterrand et à François Hollande, prétend avoir croisé l’assassin. On recueille son témoignage au Café Français, place de la Bastille, à Paris. C’est ici son repaire, ici qu’il rencontre les journalistes et les politiques pour leur dire ce qu’il croit être malin de faire. Dray est en sueur, la respiration saccadée, et ne cesse de jeter des regards par-dessus son épaule pour guetter les allées et venues. « Tout ça, ce n’est qu’une histoire d’occasions ratées, de manque de courage politique, de manque de travail, de trahisons aussi. On ne peut plus refaire ce qui a été défait. Il faut clore l’histoire », maugrée-t-il. Son passé ne joue pas en sa faveur, lui, l’homme des basses œuvres socialistes, mais il n’a plus vraiment les réflexes d’antan, ni l’influence.
Dray en est convaincu : l’assassin est un proche. Comme dans l’immense majorité des homicides, les meurtriers ressemblent à leur victime. Il est ou a été socialiste. Était-ce une simple connaissance ? Un ami de gauche ? Un ex-compagnon rancunier ? Un membre vipérin de la même famille ?

Dans le grand manoir de la gauche, la liste des suspects se réduit à une poignée de personnages. Il y a Olivier Faure, dans la cuisine. Une dizaine de jours avant le drame, le Premier secrétaire du PS confiait, lugubre, que le parti allait mourir tôt ou tard.
Et monsieur François Hollande, où était-il ? On sait qu’il a approché la victime à plusieurs reprises, ces derniers mois. Un peu avant la campagne présidentielle, il fricotait avec le sieur Bernard Cazeneuve, son ancien Premier ministre. Lui aussi semblait manigancer quelque chose.
Des témoins ont vu que le docteur Arnaud Montebourg et la colonelle Christiane Taubira avaient, eux, eu maille à partir avec le mort. Et il y a Jean-Luc Mélenchon, l’ancien socialiste, qui lui vouait une haine féroce et ne s’en cachait pas.
On dit que l’assassin revient toujours sur les lieux du crime. On a vu madame Anne Hidalgo là-bas, un peu après 20 heures. Elle a descendu l’escalier en fer du Poinçon, un petit restaurant qui a élu domicile dans une gare désaffectée du 14e arrondissement. Un de ces nombreux lieux du passé devenu branché à Paris. Elle organisait là-bas sa soirée électorale ; n’y étaient présents que de rares militants, beaucoup de plumitifs et des photographes. Ces derniers étaient là au bon endroit et au bon moment pour narrer et immortaliser le fait divers. Il y avait quelques verres sur le comptoir, un peu de bulles et des bières, et on avait dressé des tables avec des petits fours et des tartinades. Il avait fait soleil toute la journée, les bras de chemise furent remontés. Elle est la dernière à avoir vu le PS en vie, le soir du premier tour.
Hidalgo, Cazeneuve, Hollande, Faure, Mélenchon, Montebourg, Taubira… L’un de ceux-là est forcément le coupable, mais qui ? Quel est son mobile ? Et, surtout, comment a-t-il agi ? Faut-il imaginer l’hypothèse d’un premier assassin, puis d’un second ? L’un a pu surgir dans le noir, en voyant que le travail venait d’être accompli par un autre. Ou peut-être ont-ils agi de concert, s’acharnant sur la victime comme deux complices d’un même crime ? Le corps a été traîné au sol et les empreintes, elles, effacées. De nos jours, les assassins ne commettent plus d’erreurs aussi grossières. C’est encore plus vrai en politique. Mais le coupable veut faire croire qu’il s’en sortira sans commettre de faux pas, or il oublie l’essentiel : il n’existe pas de crime parfait. Il faut dégainer la loupe et enquêter.

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