Les Bouffons de la haine

Auteur : Thomas NLend
Editeur : Grasset

En 2011, Thomas NLend, petit voyou né à Créteil, est recruté comme indic pour infiltrer le mouvement d’Alain Soral. « Egalité & Réconciliation » rêve d’unir nationalistes et islamistes au nom du « Front de la foi » et de leur obsession commune : les Juifs.
Sa vraie mission est de signaler d’éventuel « dingos », des apprentis terroristes. Mais l’infiltré va aller bien au-delà, jusqu’à gagner la confiance de sa cible, devenir son lieutenant et l’une des figures de la « fachosphère » sous le faux nom de Mathias Cardet.
Il voit tout, entend tout, assiste à tout, jusqu'au fameux « Jour de colère » : dix mille extrémistes criant des slogans antisémites dans les rues de Paris.
Avec l’aide de complices, Thomas NLend va tout tenter et parvenir à torpiller le projet d’un parti politique que Soral et Dieudonné voulaient lancer avec le soutien discret de Jean-Marie Le Pen.
Des années plus tard, Alain Soral continue d'accuser « l’indic Cardet » de tous ses malheurs.
Devenu scénariste à succès (plus d’un million d’entrées avec le film Inséparables), Thomas NLend se voit régulièrement menacé à cause de cette ancienne vie.
Pour expliquer ce passé, parce qu’il y a prescription mais aussi parce que ce mouvement n’en finit plus de faire école, il décide pour la première fois de tout raconter.
Un témoignage accablant, pour Soral, Dieudonné et l’extrême droite.

20,90 €
Parution : Janvier 2022
320 pages
ISBN : 978-2-2468-2708-5
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Extrait

Préface

Aucun réalisateur n’aurait pu imaginer cette histoire. Pas même le très talentueux Spike Lee. Quand l’un de ses films plonge dans la peau d’un policier noir ayant infiltré le Ku Klux Klan à la fin des années 1970, l’essentiel de sa mission consiste à séduire le « grand Sorcier » au téléphone1. Sur le terrain, c’est un autre policier, blanc et juif, qui se charge de se faire passer pour un militant du Klan. L’immersion que raconte ce livre, quarante ans plus tard, est plus folle encore. Car Thomas NLend, né à Créteil de parents camerounais, a lui-même infiltré l’une des chapelles les plus paranoïaques de l’extrême droite française : Égalité & Réconciliation. Au point de devenir le lieutenant noir d’Alain Soral, son grand sorcier blanc, et de regarder sous sa cape.
La « bête immonde », comme on surnommait jadis la tentation fasciste, n’a guère changé de refrain ni d’obsessions. Il s’agit toujours de désigner des boucs émissaires et d’en faire commerce. Mais elle peut prendre plusieurs visages. Celui d’un polémiste blanc comme Alain Soral, ou d’un humoriste métis comme Dieudonné, son associé en haine. Une boutique prospère. Dans ses rangs, l’essentiel n’est pas de posséder la même couleur de peau, mais d’en vouloir aux mêmes, en l’occurrence aux Juifs. C’est cette haine commune qui doit permettre de « réconcilier » les patriotes de toutes les couleurs. Raison pour laquelle Alain Soral cherche à s’entourer de militants noirs et arabes. Ce qui a permis à Thomas NLend de l’infiltrer.
Il n’est qu’un petit voyou, débrouillard, fan du PSG allergique aux skins, lorsqu’un indic lui propose de l’aider à gagner sa vie en signalant d’éventuels « dingos » – des apprentis terroristes en langage policier – au sein de la mouvance Soral. Appâté par la promesse du gain et de l’aventure, il va choisir un pseudonyme, Mathias Cardet, s’inventer une légende d’ancien hooligan patriote et grimper au sein d’Égalité & Réconciliation, jusqu’à pénétrer son premier cercle. Le matériau rapporté est absolument inouï. Ce récit dévoile les coulisses de l’antisémitisme moderne, les passions narcissiques et brunes de l’époque, de l’extraction du soufre à la combustion des ego.
Thomas NLend voit en Alain Soral l’un des premiers « youtubeurs de la haine ». Un populisme numérique, viriliste et fascisant, qui a depuis fait école et tache d’huile. Son succès a inspiré toute une génération de youtubeurs et de rappeurs « patriotes » dont la rage suinte sur les réseaux. « Égalité & Réconciliation » porte un joli nom. Pourtant, c’est un piège. Un toboggan qui relie racistes d’extrême droite et islamistes grâce au lubrifiant de la haine antijuive. Ce magma rappelle le Parti populaire français et le rôle joué par un certain Jacques Doriot pour faire glisser l’électorat populaire de la gauche vers la collaboration au national-socialisme. Dans le cas de Soral et de son mouvement vert-brun, il s’agit de faire glisser les milieux populaires vers un logiciel national populiste allié aux islamistes.
Il devient très mondain de relativiser l’antisémitisme d’extrême droite au profit de l’antisémitisme islamiste, plus meurtrier. C’est oublier les passerelles entre ces deux mondes. En suivant le parcours de Thomas NLend au sein d’Égalité & Réconciliation, on saisit comment l’extrême droite s’y prend pour vivre des malheurs de la France, grâce à une double stratégie. Côté face, on invite les Juifs à voter contre les Musulmans. Côté pile, on incite les Musulmans à voter contre les Juifs. La haine monte. Et l’on gagne sur les deux tableaux.
Se fondre dans la peau d’un ancien lieutenant noir de Soral, c’est découvrir avec lui combien Égalité & Réconciliation n’est qu’une créature, une marionnette de l’extrême droite frontiste. Ses ficelles sont tirées en sous-main par des hommes clefs du Rassemblement national. Ses caisses remplies par des financements troubles. Avant de se disputer avec Marine Le Pen pour une sombre histoire de première place aux élections européennes de 2009, Alain Soral a mené campagne à ses côtés pour le FN, il a tracté pour elle à Hénin-Beaumont. Ensemble, ils ont festoyé jusqu’à plus soif. Il était déjà l’homme qu’il est aujourd’hui, férocement antisémite, misogyne et homophobe. Ce qui n’a jamais réellement posé problème aux Le Pen. Brouillé avec la fille et sa bande, qu’il a traités d’« agglomérat de multi-transfuges, de marchands du Temple et de cage aux folles », Soral n’a jamais rompu avec le père. C’est bien le Menhir, des hommes clefs impliqués dans plusieurs affaires de financement illégal du Rassemblement national, que l’on découvre dans son ombre. Ainsi que bien d’autres amitiés coupables.
On savait déjà qu’Éric Zemmour fréquentait volontiers le Menhir, Marion Maréchal-Le Pen, qu’il échangeait des SMS chaleureux et des « embrassades » viriles avec Tariq Ramadan2. On découvre qu’il déjeune aussi avec Alain Soral… Dont la prose misogyne a clairement inspiré son pamphlet sur la virilité bafouée, Le Premier Sexe. On imagine aisément la discussion entre ces deux hommes obsédés par la « féminisation » du monde. Le premier redoute la concurrence virile des Musulmans. L’autre préfère s’allier à cette virilité qui le fascine. D’après Soral, qui a révélé leurs échanges dans une vidéo de son cru, c’est le point sur lequel ils se disputent : « Lui dit “le problème c’est l’islamisme”. Moi je lui dis “le problème, c’est Wall Street. Il n’y a pas beaucoup de Musulmans à Wall Street”. Mais il fait semblant de pas comprendre. Je sais pas, il a des blocages… »
Un sous-entendu sur l’origine de Zemmour, lâché dans un petit rictus.
Ce défaut d’origine, Soral le pardonne à Zemmour en saluant ses positions maurrassiennes et nationalistes : « Sur Dieudonné, il s’est pas mal tenu. Sur Le Pen, il se tient pas trop mal. Il incarne une ligne qui n’est pas celle d’Élisabeth Lévy ou de Finkielkraut, il incarne le Juif français patriote3. » Zemmour ne se tient pas non plus si mal sur Vichy et les Juifs. Il n’y a vraiment que l’islam pour les départager.
Toujours dans cette vidéo, Soral attribue leurs nuances au fait que Zemmour, Juif de banlieue de « petit gabarit », demeure terrorisé par le « grand noir » ou le « grand maghrébin » de son enfance. Peur qui, bien sûr, n’existe pas chez Soral, puisqu’il rappelle qu’il pratique la boxe et dit connaître « chaleureusement et charnellement » les Musulmans grâce aux salles de sport. Une vantardise fréquente, dont nous verrons qu’elle cache une peur physique panique. Quant à la « chaleur » virile et « charnelle » entre Soral et les Musulmans, elle doit bien plus à l’antisémitisme et à l’antiféminisme qu’à la sueur ou la boxe.
Combien de lascars ont adoré les vidéos d’Alain Soral ou les sketchs de Dieudonné avant de basculer dans l’islamisme ? Loin d’être de simples « bouffonneries », leur propagande a radicalisé au moins deux générations de militants, de rappeurs, de footballeurs et d’influenceurs. Bien plus que la lecture salafiste du Coran ou une mauvaise rencontre à la mosquée. Leurs vidéos, leurs sketchs bruns, ont libéré tous les démons de cette jeunesse. Il s’en est fallu de peu pour que la farce brune ne vire au pogrom. Comme ce fameux « Jour de colère » où toute la fachosphère est sortie dans les rues de Paris en scandant « Juifs ! Juifs ! » avant d’envisager de faire le coup de poing dans les rues du Marais.
Thomas NLend l’a vécu aux premières loges. En charge de la protection de Soral, il menait le cortège. Un moment traumatique qui l’a convaincu de sortir de son rôle d’indic, de s’affranchir, et de tout entreprendre pour enrayer cette marche sinistre.
Cette résistance de l’intérieur a changé le cours de l’histoire. Au point de torpiller le parti qu’Alain Soral et Dieudonné voulaient lancer. Le grand dragon d’Égalité & Réconciliation, si paranoïaque envers les Juifs, n’a compris que trop tard les tours que lui jouait son lieutenant noir. Il ne l’a toujours pas digéré. Régulièrement, Soral poste des vidéos vindicatives contre « l’indic Mathias Cardet ». Régulièrement, des hommes trouvent l’adresse de Thomas NLend et viennent l’intimider. À chaque fois, sa famille doit déménager.
Au moment où sort ce livre, l’ancien infiltré a tourné cette page pour écrire un nouveau chapitre qui lui correspond enfin. Scénariste. Avec son ami et complice le réalisateur Varante Soudjian, ils ont cosigné plusieurs comédies à succès. Leur film, Inséparables, a dépassé le million d’entrées. Une comédie poilante sur un gentil voyou (Ahmed Sylla) dont la réintégration menace d’échouer à cause de l’amitié envahissante d’un ancien camarade de prison (Alban Ivanov), totalement barré et fan de Poutine. Avec le recul, on peut y voir une métaphore résiliente et gaguesque de l’enfer vécu pour avoir infiltré un poutinolâtre comme Soral.
Ce passé encombrant ne le lâche pas.
Les vidéos de son ancienne vie, où il apparaît en Mathias Cardet, sont toujours en ligne. De quoi miner une réputation. Quand il a découvert que son lieutenant était un infiltré, Alain Soral a vu rouge et balancé le vrai nom de Thomas, NLend, insulté depuis sur les réseaux. Pour se reconstruire et se protéger, Thomas a choisi d’emprunter le nom italien de sa femme comme nom d’artiste. De ne jamais monter sur scène après une avant-première pour ne pas être reconnu par des soraliens. Sans jamais trouver la paix. Au moindre litige, ce passé compliqué lui revient à la figure. Des producteurs avec qui il est en procès pour un scénario impayé ont appelé tout Paris, et plusieurs journalistes, pour l’accuser d’être « un ancien soralien » infiltrant le cinéma français afin de servir une propagande islamiste !
Comique quand on le connaît.

Informations sur le livre