Kadicha

Auteur : Alexandre Najjar
Editeur : Plon

A Alexandrie, à la suite d'un attentat dans une église copte, un jeune reporter libanais rencontre Florence, une Française de retour du Liban où elle a séjourné 3 mois. Elle lui confie le manuscrit d'un roman qui retrace la vie de son aïeul, François de Chasteuil, seigneur d'Aix-en-provence, qui devint ermite dans la vallée de la Qadicha.

21,00 €
Parution : Septembre 2011
240 pages
ISBN : 978-2-2592-1083-6

Extrait

Le téléphone sonne : «Monsieur Sami, c'est pour vous !» Dans mon bureau de la rue des Banques, au centre de Beyrouth, c'est toujours l'agitation. Je ne sais plus où donner de la tête. Même ma secrétaire s'embrouille dans ses fiches. Ma table est submergée de papiers ; le courrier en souffrance s'accumule sous mes yeux impuissants. J'avais, à mes débuts, c'est-à-dire il y a vingt-cinq ans, adopté un système de travail en apparence très simple, qui consistait à procéder par ordre de priorité : d'abord, les dossiers les plus urgents, puis, progressivement, les cas qui peuvent attendre. Je notais alors sur un bout de papier les affaires en cours en allant, par ordre décroissant, du plus urgent au moins important. Mais ce système s'est révélé inefficace : que faire quand deux affaires sont pareillement urgentes, quand il est impossible, sur l'échelle de l'urgence, de les départager ? Je vis dans un stress permanent. Mes collègues de bureau me supplient à longueur de journée de «déléguer». Déléguer ? À qui déléguer quand on est perfectionniste, quand on ne croit qu'en soi ? Mon travail à la banque est délicat, fait peser sur mes épaules une lourde responsabilité. Si une erreur est commise par un «délégué», c'est moi qui réponds de cette faute. Je préfère m'épargner ce souci. De cette situation, il résulte que je voyage très peu. Et quand je voyage, mon séjour à l'étranger se limite à trois ou quatre jours : impossible d'abandonner le navire plus longtemps, encore que le mot «abandonner» soit inapproprié puisque je reste en relation constante avec mon bureau, par téléphone, fax ou Internet, pour suivre les affaires à distance. Ceux qui, à l'époque de la révolution industrielle, vouaient le modernisme aux gémonies («Avec les machines à vapeur et l'électricité, l'insomnie du monde a commencé», affirmait Ferrero) n'avaient finalement pas tort : la technologie a fait de nous des esclaves, des dépendants, et banni de notre vie la notion même de quiétude. De fait, nous sommes devenus des insomniaques.
Mes journées sont interminables. Chez moi, le temps est continu. Je me lève de bonne heure avec les oiseaux. Je me rase, m'habille et effectue en voiture le trajet qui sépare ma maison de la banque. En conduisant, j'appelle de mon portable clients et collaborateurs. Je distribue les ordres, donne des directives, programme et déprogramme les rendez-vous, de sorte que ma voiture est devenue mon second bureau. Comment faisait-on à l'époque du téléphone fixe ? Combien d'heures perdues dans les embouteillages ? Le portable, nous dit-on, est nocif pour le cerveau. Mais comment me priver de cet outil ? Entre ma santé et la bonne marche du travail, j'ai fait mon choix.

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