J'aime pas les autres

Auteur : Jacques A. Bertrand
Editeur : Julliard

«Comment je me suis fâché avec tout le monde, je ne sais plus très bien. Longtemps, j'ai cru aimer les autres. Peut-être que je croyais les aimer parce que je voulais qu'ils m'aiment. Vous voulez toujours que les autres vous aiment. Enfin, vous croyez. C'est des gens bizarres, les autres. Vous pensez qu'ils sont comme vous. Et pas du tout. Ils sont comme les autres. J'aime pas les autres.»
De la petite école à la grande, y compris celle de la vie, des premiers baisers à la longue quête de l'âme soeur, la jeunesse du narrateur, Anatole Berthaud, aurait pu être parfaitement heureuse... s'il n'y avait pas eu les autres. Entre roman d'apprentissage et récit autobiographique, le dernier livre de Jacques A. Bertrand nous enchante, comme toujours, par sa finesse, son humour et son élégance d'esprit.

16,00 €
Parution : Août 2007
126 pages
ISBN : 978-2-2600-1719-6
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Extrait

Comment je me suis fâché avec tout le monde, je ne sais plus très bien. Longtemps, j'ai cru aimer les autres. Peut-être que je croyais les aimer parce que je voulais qu'ils m'aiment. Vous voulez toujours que les autres vous aiment. Enfin, vous croyez.
C'est des gens bizarres, les autres. Vous pensez qu'ils sont comme vous. Et pas du tout. Ils sont comme les autres.
J'aime pas les autres.

Au début, je ne me suis pas méfié. Je parlais avec tout le monde. Pourtant, je ne maîtrisais pas encore parfaitement la langue. Je discutais avec les mouches. C'est comme les autres, les mouches. Vous espérez vous faire des copines, vous leur faites des politesses, de grands sourires et des bababas, et, toc, elles vous atterrissent dans l'oeil.
- Mais pourquoi cet enfant pleure ?
Ça, c'est ma mère. Elle insiste.
- Il a tout ce qu'il lui faut. Son pouce, sa girafe en caoutchouc, son parc avec les petites boules de bois qu'il peut faire tourner tant qu'il veut...
Mon parc, tu parles. Les boules. Il y a même des mouches qui piquent. Pas que des mouches.

Un peu plus tard, à la maternelle, pendant la récréation, ou au cours d'une séance de jeux interactifs, je ne sais plus, il y a cette gamine qui a l'air gentil, j'aime bien ses cheveux et sa petite robe, je vais la serrer dans mes bras. Elle se met à hurler. La maîtresse débarque en urgence avec ses yeux en forme de gyrophares, une hyperthyroïdienne.
- Mais qu'est-ce qu'il a, ce môme, il est obsédé sexuel ou quoi ?
Moi ?

Un peu plus tard encore, en cours préparatoire, je suis le premier à savoir lire et écrire. Mais je n'ai pas de pot : le maître, c'est mon père. Il s'occupe aussi du cours élémentaire.
Si je fais un quart de faute à la dictée, c'est le drame.
Si je suis premier, c'est normal. Si, par malheur, je ne suis que deuxième, ça tourne à la tragédie.
- Tu as fait trois quarts de faute !
(Quand je pense au nombre de fautes entières que la plupart des gens font...)
Si je ne suis pas premier, c'est Momo, le fils du pharmacien, qui l'est. Mon père lui dit :
- C'est bien, Momo.
Moi, il m'engueule. Je me mets à pleurer. Ça l'énervé. Il m'envoie chez ma mère. Il faut dire que nous habitons l'appartement au-dessus de la classe, c'est pas de pot non plus. Les autres mômes viennent de la campagne à vélo, même l'hiver, dans la neige, c'est rigolo. Moi, je descends de l'appartement en pantoufles. J'ai pas le droit d'aller dans la neige. J'ai pas de vélo.

Un jour, je suis premier et Momo, qui est deuxième, se met à pleurer. Mon père s'inquiète. Entre deux sanglots hoquetés, Momo s'explique :
- M'sieur, quand votre fils est deuxième, vous êtes fâché...
Mon père lui tapote l'épaule pour le réconforter.
- Mais deuxième, Momo, c'est très bien ! Quoi ? C'est bien, deuxième ? Du coup, c'est moi qui pleure. Ça agace mon père. Il m'envoie chez ma mère.
En plus, quand je suis premier, le père de Momo, le pharmacien, dit avec des airs de sous-entendus :
- C'est normal, c'est le fils du maître...

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