Tingo : Drôles de mots, drôles de mondes

Auteur : Adam Jacot de Boinod
Editeur : 10/18

Saviez-vous que les Boliviens ont un mot dans leur langue qui signifie : «J'étais beaucoup trop saoul, hier, et tout ça c'est de leur faute» ? Qu'il n'existe pas d'équivalent au mot «bleu» en italien ? Que le mot allemand pour «ricochets» est «plimpplamppletteren» ? Ce livre génial, qui puise dans la sagesse collective de plus de 154 langues, inclut non seulement les mots pour lesquels il n'y a pas de traduction directe en français («pana po'o à Hawaii signifie «se gratter la tête pour se souvenir de quelque chose d'important») mais aussi une discussion honnête sur le nombre de mots exprimant la «neige» qui existent en eskimo, et sur le plus long palindrome connu parmi toutes les langues («saippuakivikauppias» - Finlande).

15,22 €
Parution : Octobre 2007
Format: Poche
202 pages
ISBN : 978-2-2640-4507-2
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Extrait

Extrait de l'avant-propos

Mon intérêt pour les mots étranges venus d'ailleurs date de ma rencontre, alors que j'effectuais des recherches pour un jeu télévisé, avec un lourd dictionnaire d'albanais. Je constatai qu'il y avait dans cette langue pas moins de vingt-sept mots pour désigner les sourcils et autant pour les moustaches, depuis mustaqe madh (broussailleuse) jusqu'à mustaqe posht (une moustache qui pend à ses extrémités).
Ma curiosité s'est rapidement transformée en une passion dévorante. J'étais bientôt incapable d'approcher d'une librairie ou d'un bouquiniste sans y chercher les étagères où étaient rangés les dictionnaires de langue. Chez mes amis, je fouillais dans leurs livres, poussé par la même fièvre de l'or. Ma collection de mots merveilleux sans équivalent dans notre langue grandissait peu à peu, et j'établis bientôt une liste de mes favoris : nakhur, par exemple, est un mot persan (probablement inconnu même de ceux pour qui il s'agit de la langue maternelle) désignant «une chamelle qui ne donnera pas de lait si on ne lui chatouille pas les narines», ou encore areodjarekput, le mot inuit pour «échanger ses femmes pendant quelques jours». À quelle occasion et pourquoi disait-on d'un homme qu'il était un marilopotes, «un buveur de poussière de charbon» en grec ancien ? Et les samouraïs japonais avaient-ils vraiment l'usage du verbe tsugi-jiri, «essayer une nouvelle épée sur un passant» ?
D'autres langues exprimaient en revanche des concepts étrangement familiers. Nous avons ainsi tous déjà croisé un Zechpreller, le terme allemand désignant une personne qui part sans payer ; passé trop de temps en compagnie d'un ataoso, quelqu'un qui, en espagnol d'Amérique centrale, voit des problèmes partout ; ou travaillé avec un neko-neko, une personne qui, en indonésien, a une idée originale qui ne fait qu'aggraver les choses.
Puis ma passion devint une obsession tranquille. Je passai au peigne fin plus de deux millions de mots dans des centaines de dictionnaires. J'arpentais Internet, je téléphonais aux ambassades et je recherchais des locuteurs de langues étrangères capables de confirmer mes trouvailles. Je m'aperçus que dans le monde tout ne fait pas le même bruit : en afrikaans, les grenouilles font kwaak-kwaak, au Mexique, les chats font tlatzomia, et en Hollande le célèbre Cric ! Crac ! Croc ! des Rice Krispies devient Knisper ! Knasper ! Knusper !
Je découvrais de jolis mots décrivant des choses que nous sommes incapables d'évoquer de façon concise, comme le persan wamadat, «la chaleur intense d'une nuit étouffante sans un souffle d'air». Je rencontrais des mots associés à tous les âges de la vie, depuis paggiq, qui décrit en inuit les chairs distordues d'une femme en train de mettre son enfant au monde, jusqu'à Torschlusspanik, en allemand, «la peur de voir se réduire les opportunités à mesure que passent les années», et mingmu, qui signifie «mourir sans regret» en chinois. Je savourais la droite logique du danois, la concision du malais, la pure extravagance du japonais, et je me rendais compte que, parfois, un dictionnaire peut en dire beaucoup plus sur une culture qu'un guide touristique.
Je recherchais des langues aux quatre coins de la planète, depuis le fuégien à l'extrême sud du Chili, jusqu'à l'inuit à l'extrême nord de l'Alaska, depuis le maori des lointaines îles Cook jusqu'au yakoute du fin fond de la Sibérie. Certaines d'entre elles décrivaient, bien entendu, des sensations et des concepts strictement locaux, comme kapau'u, en hawaïen, qui veut dire «pousser les poissons vers un filet dormant en tapant sur l'eau avec une branche feuillue», ou encore pukajaw, en inuit, «une neige ferme, facile à couper et offrant un abri chaud». D'autres, au contraire, soulignaient l'universalité de l'expérience humaine. Ne nous sommes-nous pas tous un jour sentis termangu-mangu, «triste et désarmé» en indonésien, ou mukamuka, «en colère au point d'avoir envie de vomir» en japonais ? Le plus rassurant était de retrouver captées dans le vocabulaire des idées que nous avons parfois sur le bout de la langue sans pouvoir les exprimer : du bemba (parlé en Zambie) sekaseka, «rire sans raison», au japonais bakku-shan, «une fille qui a l'air jolie vue de dos, mais qui s'avère l'être beaucoup moins de face», en passant par le tchèque nedovtipa, «quelqu'un qui a du mal à saisir les sous-entendus». Et qui d'entre nous n'a jamais ressenti ce que les Allemands appellent le Scheissenbedauern, «la déception que l'on éprouve quand les choses ne tournent pas aussi mal qu'on l'aurait espéré» (littéralement, «regret de merde») ?

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