À l'aveugle

Auteur : Lance Hawvermale
Editeur : Chambon

Gabe Traylin est atteint de prosopagnosie, un trouble neuro-visuel qui l’empêche de différencier un visage d’un autre. Il ne reconnaît donc les personnes de son entourage que grâce à leur parfum, leur voix, leurs vêtements. Son travail d’astronome au sein d’un observatoire situé dans le désert d’Atacama, au Chili, lui permet de se tenir éloigné de toute civilisation, ce qui l’arrange bien. Mais lorsqu’il est témoin d’un meurtre pour le moins énigmatique, Gabe se retrouve au cœur d’une investigation qui va tout bouleverser et dont il devient le suspect numéro un. Il va alors devoir mener sa propre enquête afin de se disculper et, pour ce faire, s’entourer de trois inconnus : un auteur à la ramasse qui se croit invincible, un jeune aventurier trisomique et sa sœur, une femme essentielle à sa survie, qu’il apprendra à connaître sans pour autant pouvoir la reconnaître.

Ensemble, ils vont exhumer les secrets enfouis du sombre passé fasciste chilien, en même temps que leurs propres abysses, et s’aventurer toujours plus loin dans le désert, au tréfonds de la vengeance.

Comme les températures d’Atacama, alternant entre soleil de plomb, aridité et nuits étoilées emplies de mystère, l’atmosphère d’À l’aveugle est changeante, entre courses poursuites haletantes et retours sur l’histoire douloureuse du pays.

Traduction : Denis Beneich
23,00 €
Parution : Novembre 2020
384 pages
ISBN : 978-2-3301-2091-7
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Extrait

Pas une goutte de pluie n’était tombée ici depuis quatre cents ans.
Gabe savait que c’était vrai. Il le savait, même si debout sur cette étendue de terre, on ne pouvait être sûr de rien. C’était l’effet que produisait le désert sur vous. Et ce désert en particulier où il n’y avait ni monstres de Gila, ni cactus, ni Bédouins glissant majestueusement sur le sable à dos de chameau. Aucune vérité tangible dans un endroit aussi hostile. On se faisait avoir à tous les coups.
Gabriel Traylin parcourait du regard l’étendue du désert sous la nuit, fumant sans se préoccuper de l’épouvantable cancer qu’il se préparait, songeant à cette inimaginable sécheresse environnante. Quatre siècles, et pas une seule larme tombée du ciel. Comparé à ce désert d’Atacama, au nord du Chili, celui qui se trouvait dans son pays, le désert des Mojaves, prenait des allures de plaine inondable. Ici, les quelques précipitations ne se mesuraient qu’en millimètres et encore ne s’agissait-il que de rare brouillard. Les milliards d’étoiles scintillantes dans le ciel n’étaient pas plus énigmatiques que cette aridité-là ; ce crâne évidé de toute terre. Ce qui s’était passé ici n’était arrivé nulle part ailleurs ; total et lugubre démenti de toute forme de vie.
Comme quelques-unes des femmes que j’ai connues, songea-t-il, ne plaisantant qu’à demi.
Toujours à blaguer, celui-là, même quand il était seul. Peut-être aurait-il mieux fait, à dix-huit ans, de monter sur les planches plutôt que d’aller à l’université de Stanford ? Après tout, il n’y avait pas grande différence entre un comique fauché et un doctorant endetté jusqu’au cou par le remboursement de ses prêts étudiants. Il s’agenouilla pour écraser son mégot de cigarette sur une pierre qui n’avait jamais connu la douceur de la rosée.
Derrière lui s’élevait l’observatoire, pareil à un gigantesque et silencieux vaisseau fantôme.
Des astronomes de l’Union européenne avaient bâti l’édifice en 2008. L’aridité spécifique à cette région fournissait au télescope de 20 mètres de diamètre une vue des cieux parfaitement dégagée de la moindre bannière de nuages. Aucune onde radio ne venait troubler le ciel. De rares avions passaient. Bien que le désert d’Atacama fût pour le moins hostile à toute forme de vie, dès qu’il s’agissait d’observer le rayonnement d’une ancienne étoile, on était, pour ainsi dire, aux premières loges. Fier de cartographier des galaxies bien trop lointaines pour présenter un intérêt quelconque, Gabe ne valait pas mieux que ses collègues. À vingt-neuf ans, il était aussi le plus jeune d’entre eux, ce qui pouvait l’exempter de son péché d’orgueil.
Rubat appelait ça « la gloriole de Galilée ».
Oh, ce Rubat ! Des mots de poète, mais une hygiène de clochard. Il avait promis à Gabe de l’emmener en ville – ses réserves de bandes dessinées et de cigarettes s’épuisant –, mais tout portait à croire qu’il avait oublié. Gabe était sur le point de regagner l’observatoire pour aller rejoindre son collègue et lui rappeler sa promesse, lorsque, dans l’obscurité, quelque chose remua.
À une centaine de mètres de distance dans l’étendue désertique, à peine discernable sous la lueur des étoiles, quelque chose se déplaçait.
Ce n’était pas un simple mouvement, mais plutôt une sorte de glissement.
Gabe se redressa, le mégot de sa cigarette entre les doigts.
La silhouette se déplaça d’est en ouest, facilement, avec la souplesse d’un félin ou d’un gymnaste. Naturellement, pas de puma dans les parages, attendu qu’il n’y avait rien à y chasser. Quant au gymnaste ou à n’importe quel autre représentant de l’espèce humaine... tout ce que Gabe savait c’était que, à part les fantômes, esprits desséchés des morts, que les indigènes prétendaient apercevoir quelques fois, il n’y avait âme qui vive dans le coin.
Alors, qu’est-ce que c’est ?

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