Faut pas rire avec les barbares

Auteur : Albert Spaggiari
Editeur : Manufacture de livre éditions
En deux mots...

L'un des rares témoignages vécus de la guerre d'Indochine, présenté par son auteur sous forme de roman choral.

Né en 1932, Albert Spaggiari s’engage dans les bataillons de parachutistes alors qu’il n’a que 17 ans. Deux fois blessé, une fois décoré lors de la guerre, il commettra en Indochine son premier vol, celui de la caisse du Milk Bar et sera condamné à 5 ans de travaux forcés. Rendu plus tard célèbre par le cambriolage des coffres de la Société Générale de Nice, rebaptisé par les médias le casse du siècle, Albert Spaggiari sera arreté, emprisonné mais s’évadera et sera en cavale pendant 12 ans, jusqu’à la fin de sa vie. Il mourra en 1989 en Italie.

10,00 €
Parution : Novembre 2018
316 pages
ISBN : 978-2-3588-7266-9
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Présentation de l'éditeur

De 1946 à 1954, la France traverse la guerre d’Indochine. Faut pas rire avec les barbares est, sous une forme romancée, l’un des rares témoignages hérités de ce conflit. Albert Spaggiari, engagé volontaire à dix-sept ans et plus tard célèbre cambrioleur, écrira ce livre pendant ses années en prison. Autobiographe infidèle, narrateur empruntant tour à tour la voix de ses différents compagnons d’armes, il nous fait découvrir le quotidien de quelques soldats, jeunes Français apprenant à être des hommes à l’autre bout du monde, au milieu de la chaleur et de la barbarie de la guerre.

Extrait

Ça n’a pas traîné : paquetage, armement, formation définitive du bataillon, tir, et direction la R.C.6., la route coloniale de Hoa Binh.
Le « Grand Soleil » nous a fait un beau discours d’où il ressortait qu’il espérait nous ramener en France en parfaite santé. Le lendemain, boum ! Obus de mortier : un mort, sept ou huit blessés. Salaud de menteur ! Paraît que c’est notre faute ! Celui qui veut survivre doit toujours faire son trou. Ça porte bonheur, les trous. C’est notre Sécurité Sociale. Nous ne sommes plus des paras, nous devenons bataillon de sapeurs… Cause toujours, beau merle ! Moi, je creuse. Je tiens à rentrer en France. In petum, je gueule que j’aime mieux montrer mes fesses que ma tête.
La deuxième règle de survie consiste à respecter les distances avec ses proches voisins, because danger possible. Ça varie entre trois et dix mètres.
Cette partie de la R.C.6. où nous avons échoué est une vallée lugubre à souhait. En cette saison : brouillard et crachin. Putains de pays tropicaux ! Je rigolais parce que dans le paquetage il y avait un pull-over ; je ne ris plus, je caille.
On saute des camions et, cinq cents mètres plus loin, on s’installe provisoirement. Sur quoi, tir de mortier visant la 5e compagnie. Un gradé se couche dans l’herbe à quelques pas de moi. Un ruisseau m’épargne de creuser mon trou et, comme j’ai idée que les gradés meurent moins souvent que nous, je reste à côté du mien. Mauvaise inspiration ! Il m’aperçoit et m’envoie garder le dépôt de vivres et de munitions de la compagnie, au poste de Mô Ton, à trois cents mètres en arrière, juste au-dessus de la route.
Là-haut seulement, j’apprends les raisons de tout le remue-ménage. C’est la retraite de Hoa Binh ; le bataillon protège la route et ne décrochera que lorsque tout le reste des forces sera évacué. Avec nous, une section de Sénégalais attend l’ordre de déménager.
Le dépôt que je garde s’élève sur la place d’armes, à côté d’une dizaine de fûts d’essence. Un poste de radio débite à plein tube sa friture et semble statufier les gars qui écoutent, juchés sur leurs chars alentour. Ça sent la tragédie. Je m’efforce d’écouter. Que dalle ! Je ne suis pourtant pas sourdingue, mais j’ai besoin de m’habituer à saisir les paroles au milieu du vacarme, et ce n’est pas rien !
Tout à coup, ça y est. Le haut-parleur diffuse des appels au secours et l’agonie de quelques gars dans un poste voisin. La frousse tombe sur moi comme la vérole sur le bas clergé breton. La plus terrible des frousses, celle qui paralyse les jambes et le cerveau, celle de la nausée de l’existence, du chaos de la vie. Je ne tremble pas, mais ça va venir. J’essaie d’avoir l’air de m’en foutre, comme si moi, para, j’étais loin des contingences, et je vais m’asseoir près des munitions.

Informations sur le livre