Mon père, ce tueur

Auteur : Thierry Crouzet
Editeur : Manufacture de livre éditions
En deux mots...

Un fils replonge dans le passé de son père, vétéran de la guerre d'Algérie pour essayer de comprendre cet homme qui l'a élevé et dont il a toujours craint la violence.

17,90 €
Parution : Août 2019
224 pages
ISBN : 978-2-3588-7524-0
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Présentation de l'éditeur

«J’ai toujours eu peur de mon père. Je savais qu’il avait déjà tué au cours de la guerre d’Algérie. J’étais persuadé qu’il pouvait recommencer.»
Thierry grandit dans l’ombre glaçante de Jim, élaborant des scénarios de fuite et se barricadant toutes les nuits dans sa chambre. Quelques années après la mort de ce père menaçant, le fils se plonge dans les photographies et les carnets où Jim ne parle que de la guerre. Il décide de partir à la recherche du fantôme, de retouver par les mots celui qui avait été un jeune garçon à qui l’on avait appris à être un tueur. Car pour se garder de transmettre l’héritage de la violence, il faut en connaître la source.

La presse en parle

A partir des notes de son père et d’une ample documentation, l'auteur compose un récit saisissant et restitue un peu d’humanité aux vies minuscules lâchées dans un conflit qui les dépasse et dont la violence les hante pour toujours.
Le Monde des Livres

Extrait

Mon père était un tueur. À sa mort, il m’a laissé une lettre de tueur. Je n’ai pas encore le courage de l’ouvrir, de peur qu’elle m’explose à la figure. Il a déposé l’enveloppe dans le coffre où il rangeait ses armes : des poignards, une grenade, un revolver d’ordonnance MAS 1874 ayant servi durant la guerre d’Espagne, une carabine à lunette, et surtout des fusils de chasse, des brownings pour la plupart, tous briqués, les siens comme ceux de son père, grand-père et arrière-grand-père, une généalogie guerrière qui remonte au début du dix-neuvième siècle. Sur les crosses, il a vissé des plaques de bronze avec les noms de ses ancêtres, leur date de naissance, de mort. Sur l’une, il a indiqué : « 1951, mon premier superposé, offert pour mes 15 ans ».
Le coffre est noir, un cercueil planté à la verticale dans mon ancienne chambre transformée depuis mon départ de la maison en bureau. La porte blindée pivote en douceur sur un râtelier damassé de velours surmonté d’un tiroir qui ne contient que l’enveloppe, blanche, épaisse d’une poignée de feuillets sans doute pliés en quatre. Dessus, mon nom et une consigne :
« À OUVRIR LE JOUR DE MON DÉCÈS. » Trois ans ont passé, trois ans que je pense à cette lettre, trois ans qu’elle m’effraie, trois ans que je ne trouve pas le courage de l’ouvrir.
Depuis trois ans, j’en restais à ce constat définitif : « mon père était un tueur ». Et puis, ce matin, j’ai écrit « Jim était un tueur. » Une faible lueur s’est mise à briller dans le lointain, j’ai osé un pas vers elle, ou plutôt vers mon père, ou tout au moins vers Jim qui était son surnom de guerre en Algérie. Ce n’est plus mon père le tueur, mais Jim, son double. En même temps que Jim s’imposait à moi, des souvenirs enterrés dans les profondeurs de ma mémoire ont émergé.
Je devais avoir quinze ans. C’était l’été 1978, la canicule. Ma mère hurlait contre ma grand-mère paternelle, la mère de Jim, sénile, qui mangeait ses excréments et que nous confinions dans une chambre à la porte verrouillée. Elle souffrait peut-être d’un Alzheimer, même si je n’ai jamais entendu ce diagnostic. Ma mère ne supportait plus de devoir la nourrir à la becquée, de devoir la laver, l’habiller, changer ses draps. Aucune femme de ménage n’acceptait longtemps de nous aider, tant l’odeur était âcre. Le calvaire durait depuis des années. Nous devions nous résoudre à demander une assistance médicale, mais Jim refusait de faire interner sa mère. Sans pour autant s’en occuper, il voulait qu’elle termine sa vie chez nous.
Ma mère menaçait de le quitter. Elle faisait grève. Puis Jim réussissait à la retourner, avec fleurs, cadeaux, papouilles et promesses. La fois suivante, la crise était plus violente. Je me taisais, incapable de prendre parti comme de formuler le moindre jugement. Je tentais de me rendre invisible pendant que les insultes fusaient au-dessus de moi.
Ma mère montait seule au front, s’attaquant du haut de son mètre soixante à Jim, un colosse, un grand blond aux yeux bleus, larges épaules, immenses mains ; un Suédois né par erreur dans le midi de la France, fils unique de parents eux-mêmes méridionaux, qui l’avaient vénéré et lui avaient passé tous ses caprices, au point de le transformer en une divinité toute-puissante.
– Je pars ! lui a lancé ma mère pour la centième fois.
Tremblant de rage, il s’est levé, il a couru vers le garage, où il rangeait alors ses armes, avant de revenir avec son cinq coups.
– Si c’est comme ça, je vous flingue tous.

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