Les amants météores

Auteur : Eloïse Cohen de Timary
Editeur : JC Lattès

Un soir, dans un bar, Marianne fait la rencontre de Virgile, un paysagiste talentueux, fantasque et homosexuel. Très vite, c’est l’évidence : ils s’aiment comme on ne s’aime qu’une fois. Des rues de Paris aux plages bretonnes, leur amour a le goût citronné et sec de la margarita, celui des huîtres iodées, des bons vins et des soirées déjantées ; leurs cœurs s’accordent au rythme de Patti Smith, Janis Joplin et de la variété italienne des années 80. Ensemble, Marianne et Virgile mènent une vie de fête et de gaieté, ils ont des projets d’avenir, et bientôt aussi le désir d’avoir un enfant. Jusqu’au jour où leur ciel va brusquement s’assombrir, et leur quotidien se muer en une lutte effrénée pour sauver l’amour et les rêves.

Roman d’une passion fulgurante et incandescente, Les amants météores explore la grande histoire d’amour d’une vie, la fragilité du temps qui passe et la soif de liberté qui nous étreint.

20,00 €
Parution : Janvier 2020
336 pages
ISBN : 978-2-7096-6602-2
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La presse en parle

Quel beau roman d'amour a évité d'écrire Eloïse Cohen de Timary avec "Les Amants météores" ! Ce en quoi réside la puissance du livre.
Le Monde des Livres


Après un Babylone Underground remarqué (Serge Safran, 2015), Eloïse Cohen de Timary réussit, avec beaucoup de délicatesse et une écriture fluide, ce deuxième roman très contemporain.
Livres Hebdo

Extrait

Le rédacteur en chef était là derrière son bureau, chemise ouverte sur frisottis de poils, clope coincée entre les dents, fouillant nerveusement sa pile de documents.
— C’est un bordel ici, dit-il en déposant sa cigarette allumée sur le rebord du bureau. Il remua un moment ses papiers avant de finalement mettre la main sur ce qu’il cherchait. Ah tiens voilà : y a tout un papier sur Paul Wiazowski, c’est paru la semaine dernière aux States.
Marianne attrapa la revue et le rédacteur en chef récupéra sa cigarette. Il tira une longue bouffée en s’affalant au fond de son siège, puis se passa la main sur sa barbe de trois jours.
— C’est quand même dingue, dit-il. Ce type ne donne jamais aucune interview. Et toi, boum, tu décroches un rendez-vous comme ça. C’est où déjà ?
Marianne marmonna l’adresse tout en faisant tourner les pages à coups d’index, et quand elle tomba sur l’article en question (« Paul Wiazowski ou le renouveau de la french literature ») elle posa la revue sur ses genoux, lissa la tranche. C’était un ramassis de poncifs, un portrait du « Salinger des Ardennes » – il était originaire de Charleville-Mézières, date de naissance inconnue – avec ses thèmes de prédilection, sa méthode de travail, des trucs qu’on avait déjà lus mille fois.
— Merci Vincent, dit Marianne en reposant la revue sur le bureau. Mais je crois que ça va aller, je devrais m’en sortir.
Ça faisait si longtemps qu’elle voulait l’interviewer, Paul Wiazowski. Elle avait même parfois l’impression de déjà le connaître tant sa littérature la touchait, tant ce qu’il écrivait résonnait en elle. Rarement elle avait lu quelqu’un décrivant l’âme humaine avec une telle précision, une telle acuité, et son talent ne semblait connaître aucune limite. Wiazowski captait comme personne les détails les plus infimes du quotidien et savait décrire les émotions les plus intimes, s’introduisant dans les cœurs sur la pointe des pieds, comme chaussé de velours, mais il pouvait aussi bien vous essorer les tripes avec des pages d’une violence et d’une rage à peine soutenables. Quoi qu’il arrive, jamais on ne ressortait indemne de ses livres. Toujours chahuté, ému, troublé. Et puis l’on tombait toujours, à un moment ou un autre, sur une phrase livrant quelque vérité sur l’existence, tel le rideau qu’on entrouvre dans l’obscurité et qui d’un coup fait entrer la lumière pure, ardente, éblouissante.
Marianne savait bien que Wiazowski n’accordait aucune interview mais elle avait tout de même envoyé une demande à la maison d’édition. Elle n’avait pas fait de grands discours, non, seulement pris soin de détailler l’effet que provoquait sur elle sa littérature – la fille ballottée dans un wagon déglingue dévalant les montagnes russes à toute allure – et elle avait attendu. Plusieurs mois étaient passés, elle avait même cessé d’y croire, et puis un jour, comme par miracle presque, elle avait reçu une lettre lui proposant un entretien avec Paul Wiazowski.

Marianne dut chercher un moment avant de trouver l’endroit, n’ayant reçu de la part de la maison d’édition que de vagues indications. Elle demanda plusieurs fois son chemin, revint sur ses pas, et finalement tomba sur cette impasse étroite qui ne figurait sur aucun plan. Les murs étaient couverts de tags et il y avait une forte odeur de pisse, des mégots partout, des préservatifs usagés et un chat miteux qui lui fonça droit dans les mollets – bon sang le cliché, ça commence bien, pensa-t-elle, imaginant toutefois l’accroche qu’elle pourrait en tirer pour son article.
Le reste fut à l’avenant, une arrière-cour sordide, un immeuble délabré, et des fenêtres béantes d’où s’échappaient quelques bruits de vaisselle, des éclats de voix, le son éraillé d’un poste de télé. Elle avait dû se tromper, sûrement. Marianne était sur le point de rebrousser chemin quand sur la gauche elle remarqua une petite porte qui paraissait condamnée. Elle entra sans frapper, et immédiatement fut cueillie par l’odeur de tabac, d’ail cuit, d’épices et par le joyeux brouhaha qui régnait là. C’était un bar minuscule, une dizaine de mètres carrés pas plus, avec cinq ou six tabourets accolés au comptoir, et les bouteilles d’alcool alignées sur une étagère derrière. Aux murs, il y avait de vieilles photos noir et blanc de Tanger, Rabat, Essaouira, une série de miroirs de tailles et de formes diverses, des planches de botanique chinées aux puces, des masques africains sculptés dans l’hévéa, des papillons épinglés dans des cadres, quelques coléoptères aussi, plusieurs gravures très XIXe – femmes aux postures lascives, poitrines laiteuses, hanches généreuses – et puis, au pied du comptoir, une pile de livres posée à même le sol.
Le bar, tenu par Kamel et Olive, était toujours très animé. On y trouvait rarement un tabouret de libre et ce soir-là ne fit pas exception. Au comptoir, deux garçons parlaient haut et riaient fort. Le premier portait un pantalon jaune moutarde, une chemise à carreaux, nœud papillon assorti, et il avait une très fine moustache, comme un trait posé à l’encre de Chine ; l’autre était vêtu d’une marinière ample, il avait le visage mat et anguleux, de beaux yeux gris, et sentait fort l’eau de toilette, un mélange de vétiver, de copeaux de savon et de patchouli. À côté d’eux, un barbu picolait tranquille, perdu dans ses pensées, tandis qu’un jeune homme au visage de séraphin, boucles blondes et teint diaphane, était plongé dans son bouquin. On le voyait s’interrompre de temps à autre quand un message arrivait sur son portable ; il regardait alors l’écran d’un air distrait, tapotait une réponse, et reprenait sa lecture aussitôt.
Et puis il y avait Paul Wiazowski. Crâne rasé, lunettes noires, tatouage sur le lobe de l’oreille. Une pinte de bière posée devant lui, en train de picorer des escargots à la marocaine dans un petit bol en céramique.
— Tiens, goûte-moi ça, dit-il en tendant le bol à Marianne avant même qu’elle ait eu le temps de se présenter. Écorces d’orange, anis, piment, plus un peu d’absinthe : moi je connais personne qui fait les escargots comme Kamel.
Derrière son comptoir, Kamel qui finissait d’essuyer un verre à vin en rougit jusqu’aux oreilles.
— C’est ma grand-mère, dit-il d’un air gêné. C’est elle qui m’a appris tout ça.
— Hep hep, fit Olive en stoppant net son shaker à cocktails. Prends le compliment et casse-toi, chéri !
Elle ajouta un gentil coup de fesse alors Kamel fit mine de râler, arrête ça toi, puis il rangea le verre et abandonna distraitement son torchon sur le bord de l’évier. Il murmura ensuite quelques mots sur sa grand-mère, d’un ton ému. Olive sourit. Elle versa le contenu de son shaker dans deux verres aux bords garnis de sucre coloré et les fit glisser sur le comptoir, l’un pour pantalon moutarde, l’autre pour marinière parfumée, puis elle se tourna vers Kamel et lui ébouriffa les cheveux, humecta aussi son pouce pour effacer la trace de rouge à lèvres qu’il avait sur la joue.
— J’aurais adoré la connaître, ta grand-mère, dit-elle. Je suis sûre qu’on aurait été dingue l’une de l’autre.
Olive lâcha un petit rire, oui c’est sûr, on aurait fait les fofolles ensemble, et au même instant, sans prévenir, son regard s’embua. Elle attrapa le torchon que Kamel avait laissé traîner et passa un rapide coup sur le comptoir déjà tout clean, réaligna ensuite les bouteilles d’un geste machinal. C’est vrai qu’elle aurait aimé la connaître. Elle aurait aimé lui rendre visite, prendre le thé avec elle et bavarder pendant des heures, elle aurait aimé lui peigner ses cheveux clairsemés, grignoter des petits gâteaux trop secs, écouter des anecdotes barbantes racontées en boucle – si Kamel savait à quel point. Car depuis qu’elle avait renoncé à être Luis pour devenir Olive, elle n’avait jamais revu sa propre grand-mère. Ni sa mère. Ni aucun autre membre de sa famille, d’ailleurs.

Autres éditions

Les Amants météores
Poche (Juin 2021)
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