Lalies, N° 27

Auteur : Collectif
Editeur : Rue d'Ulm

1. VIEUX RUSSE
° Introduction au vieux russe, par Claire Le Feuvre

2. LE NOM PROPRE EN LINGUISTIQUE FRANÇAISE
° Une date dans la description linguistique du nom propre : l'Essai de grammaire de la langue française de Damourette et Pichon,
par Sarah Leroy et Valelia Muni Toke

3. ONOMASTIQUE ET POÉTIQUE EN GREC ANCIEN
° Onomastique et poétique en grec ancien, par Christophe Cusset
° L'invention du nom propre dans la tradition grecque ancienne, par Jean Lallot
° «L'homme qui disait s'appeler Personne» : Ulysse et son nom propre dans 'Odyssée,
par Sophie Rabau
° Le nom propre dans les énigmes grecques, par Aurélien Berra

4. VARIA
° Gadira, Gadiros, Eumélos : un jeu de mots punique sur *gadir «enclos» et *gadi«chevreau» chez Platon (Critias 114b), par Jean-Marie Duchemin
° Platon, Critias 114b : quelques propositions textuelles, par Renaud Viard
° Alexandra de Lycophron : une tragédie de la référence, par Cédric Chauvin
° La forme falisque pipafo I pafo et le futur latino-falisque, par Emmanuel Dupraz
° Pourquoi dit-on «2 puissance 3» en mathématiques ?, par Peggy Lecaudé

29,50 €
Parution : Septembre 2007
ISBN : 978-2-7288-0392-7

Extrait

PRÉSENTATION GÉNÉRALE

Claire LE FEUVRE

1. SITUATION DU VIEUX RUSSE DANS L'ENSEMBLE SLAVE

Le vieux russe, langue dont est issu le russe moderne, appartient au groupe slave oriental. Les langues slaves sont classées en trois groupes, slave méridional (qui se divise en un groupe oriental à l'origine du bulgare et du macédonien, et auquel appartient le vieux slave, et un groupe occidental à l'origine du serbo-croate et du slovène), slave occidental (qui se divise en trois sous-groupes, le groupe tchèque et slovaque, le groupe sorabe, et le léchitique, qui comprend le polonais, le cachoube, le polabe et le slovince, ces deux derniers aujourd'hui éteints) et slave oriental (avec un groupe du nord-est à l'origine du russe, et un groupe du sud-ouest à l'origine de l'ukrainien et du biélorusse, selon la thèse la plus répandue, mais voir infra, paragraphe 8). Slave oriental et occidental entretiennent des rapports plus étroits entre eux qu'avec le groupe méridional, ce que résume l'appellation de slave «septentrional».

Les trois groupes sont issus du slave commun, dialecte indo-européen dont l'unité a dû prendre fin vers les Ve-VIe siècles de notre ère, époque des migrations qui ont interrompu la continuité territoriale. Le territoire d'origine des Slaves semble avoir été situé entre la Vistule et le Dniepr, soit la région qui couvre aujourd'hui le nord-ouest de l'Ukraine, le sud de la Biélorussie et l'est de la Pologne. L'expansion des tribus slaves aux Ve-VIe siècles les a emmenées jusqu'à l'Elbe à l'ouest, en territoire germanique (par la suite les Slaves se retireront jusqu'à l'Oder), d'abord, puis dans les Balkans au sud (jusqu'en Grèce); c'est également à cette période que les Slaves s'installent dans le nord-ouest de la Russie, sur des territoires peuplés à l'origine de Baltes, qu'ils repoussent vers la mer, et de Finno-Ougriens. Cette expansion du domaine slave a favorisé la différenciation dialectale. Enfin, dans la seconde moitié du VIe siècle, c'est l'arrivée en Europe centrale des Avars, tribu d'origine mongole, qui a isolé les Slaves des Balkans (groupe méridional) des Slaves du nord (groupes occidental et oriental), en créant un khanat puissant sur le territoire de la Hongrie actuelle (qui est encore aujourd'hui une enclave linguistique non indo-européenne), et a définitivement mis fin à l'unité linguistique slave. De fait, dans le domaine linguistique, le dernier changement phonétique partagé par tous les dialectes slaves avec un résultat identique est la seconde palatalisation des vélaires, que l'on date des Vle-VTIe siècles : kě > cě, gě > dzě, mais avec déjà des traitements divergents pour xě (> sě en slave oriental et méridional, mais se en slave occidental), et pour les groupes sk ě et kv ě (kv ě est palatalisé en cv ě en slave méridional et dans une partie du slave oriental, mais pas en slave occidental) ; fait exception un groupe dialectal russe du nord, dans la région de Novgorod, qui, apparemment, n'a qu'en partie partagé ce développement (cf. II. 1.7.).

Pour la chronologie de la dislocation du slave commun, plusieurs hypothèses ont été émises. Certains admettent que le premier groupe constitué en tant que tel est le slave méridional, dans les Balkans, isolé du reste du slave à la suite de l'invasion avare : la première division serait donc nord-sud, et le groupe du nord se serait ensuite divisé en deux groupes, occidental et oriental, d'où les nombreuses isoglosses unissant les groupes oriental et occidental, notamment dans le domaine de la morphologie. D'autres admettent que le premier groupe constitué est le slave occidental, qui s'est détaché avec l'expansion slave vers l'ouest au Ve siècle, et que la première division est est-ouest, le groupe de l'est se divisant ensuite en deux groupes, slave méridional et slave oriental. Cette dernière classification ne s'accorde toutefois pas toujours au mieux avec les isoglosses constatables. D'autres, enfin, admettent que la division en trois groupes est acquise dès le premier stade de la différenciation dialectale. De fait, on peut trouver toutes les combinaisons d'isoglosses (est-ouest vs sud, est-sud vs ouest, ouest-sud vs est), sans compter les isoglosses qui partagent un même groupe.

Au sein de l'ensemble indo-européen, c'est avec les langues baltiques que les langues slaves ont le plus d'affinités et de développements communs, ce qui fait poser un stade intermédiaire appelé balto-slave, dont seraient issus le baltique et le slave. La question balto-slave est encore disputée aujourd'hui entre partisans de l'existence d'une supra-unité balto-slave, intermédiaire entre l'indo-européen et les langues baltiques et slaves (thèse génétique), et partisans d'une approche qui voit dans les caractéristiques communes des deux groupes un phénomène de convergence entre des langues voisines (thèse aréale).

Par rapport au vieux slave, qui est la langue slave la plus anciennement attestée, mise par écrit au IXe siècle, le vieux russe est une langue «soeur» : le vieux slave, appelé aussi vieux bulgare, appartient en effet au groupe méridional et n'est déjà plus du slave commun, bien qu'il en soit très proche, quelques siècles à peine séparant la fin de la période commune et les premiers écrits vieux slaves. Le vieux russe est la langue slave la plus anciennement attestée après le vieux-slave, et le plus ancien témoin du slave non méridional, donc de l'autre macrogroupe linguistique slave. Les premiers textes du slave occidental n'étant pas antérieurs à la seconde moitié du XIIIe siècle pour le tchèque, au XIVe siècle pour le polonais, le témoignage du vieux russe, qui nous permet de remonter au XIe siècle, est essentiel.
(...)

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