Pourquoi ?

Une question pour découvrir le monde
Auteur : Philippe Huneman
Editeur : Editions Autrement

Pourquoi le meurtrier a-t-il été reconnu coupable ?
Pourquoi les tricératops ont-ils des cornes ?
Pourquoi la météorite s’est-elle écrasée sur ma maison et non sur celle de mon voisin ?

Pour comprendre ce qui nous entoure – un événement, un fait, une action, une chose… –, nous disposons de mots interrogatifs : où ? quand ? comment ? pourquoi ? De tous, « pourquoi » est peut-être le plus mystérieux.
Affaires judiciaires, découvertes scientifiques, questionnements historiques ou interrogations métaphysiques…, nous posons constamment la question du « pourquoi », sans que ce soit toujours la même.
Du plus trivial au plus vertigineux, Philippe Huneman explore en philosophe la reine des questions et démêle les fils de notre insatiable curiosité.

19,90 €
Parution : Janvier 2020
349 pages
ISBN : 978-2-7467-5152-1
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Extrait

Introduction
La rue est barrée. Un arbre est couché en travers et bouche le passage. Il fait beau, pas d’orage, mais l’arbre vient de tomber, écrasant au passage une voiture grise dont les occupants ont pu s’extraire à peu près indemnes, quoiqu’avec peine. La carrosserie est totalement défoncée, les vitres éclatées, les pompiers s’activent autour pour réconforter les victimes, écarter les badauds trop curieux, d’autres équipes surgissent pour débiter l’arbre en tronçons afin de l’évacuer au plus vite – et tout autour le ballet des smartphones de touristes ou de Parisiens en vadrouille immortalisant l’événement, le partageant sur de multiples réseaux plus ou moins sociaux, espérant bien cette fois-ci récolter un maximum de likes, de retweets, de manifestations d’intérêt venues d’autres individus épatés que leurs « amis » puissent avoir été témoins d’un événement si extraordinaire, comme s’ils avaient réalisé quelque chose de difficile, une apnée de six minutes, l’ascension d’un piton particulièrement redoutable, un poème sans voyelles.

Et je roulais quelques mètres derrière cette voiture-là. Machinalement, je me demande : Pourquoi lui ? Pourquoi l’arbre est-il tombé sur son véhicule plutôt que sur le mien ou sur n’importe quel autre ?
Bien sûr, il y a des réponses: comme me l’indique une spécialiste en histoire naturelle par hasard sur les lieux, cet arbre était totalement vermoulu. L’intérieur du tronc, bien visible, laisse voir au connaisseur de nombreuses alvéoles : au fond, il ne manquait qu’un petit coup de vent pour le renverser, ou même il suffisait d’attendre la fin du travail de sape opéré par les parasites. Certes, mais pourquoi à cet instant, alors que passait justement la Passat grise du chauffeur hollandais ?
En un sens, on sait pourquoi : je peux remonter la chaîne des causes, inventorier les circonstances – d’un côté, sécheresse, vent, noyautage interne de l’arbre, et de l’autre, l’agenda du Hollandais, ses projets, qui firent en sorte qu’il devait passer sur cette avenue à cette minute précise. L’explication est longue, se perd en d’innombrables et fastidieux détails, mais elle est disponible. Pourquoi donc suis-je frustré, avec cette impression que ma question, pourquoi lui et pas moi ?, n’a pas vraiment reçu de réponse ? Sans doute qu’à cette question précise il n’y a pas de pourquoi, ou plutôt, le pourquoi qui me satisferait n’a aucun sens ici. Il y aurait plusieurs pourquoi, alors ? Ou bien des choses sans pourquoi ?
À partir de 3 ou 4 ans, soit presque à partir du moment où ils savent parler, les enfants, c’est bien connu, ne cessent de demander pourquoi ? Il est vrai qu’ainsi ils accumulent des connaissances précieuses sur le monde. Mais en posant ce genre de questions, ils apprennent aussi comment « marche » la question pourquoi ? Quand ma fille de 5 ans demande pourquoi on est dimanche ?, elle apprend qu’on ne pose pas une telle question. Peut-être la question pourquoi lui ?, à propos de l’accident de l’arbre et du malheureux Hollandais, est-elle du même ordre. Mais ma fille apprend aussi par ses questions que certaines réponses à la question pourquoi ? n’ont de validité que restreinte : pourquoi l’eau bout ? ne doit pas s’expliquer par parce qu’elle veut bouillir, alors que pourquoi le chien boit de l’eau ? peut éventuellement recevoir la réponse parce qu’il a soif, autrement dit parce qu’il veut boire...
Mes enfants devenus grands ont, eux, appris la science, qui apparemment leur a dit pourquoi ci ou pourquoi ça. Ainsi, les sciences développent un système de réponses à un certain type de pourquoi ? Mais elles n’incluent précisément pas de réponses qui satisferaient mon désir de savoir pourquoi c’est le Hollandais, et non pas moi, qui a reçu l’arbre sur la tête ; d’où mon sentiment frustrant que c’est un pur hasard, un sentiment qui pour d’autres pourrait au contraire signifier que c’était là son « destin » de Hollandais... Mais, au fond, pourquoi est-il si frustrant de reconnaître que l’arbre est tombé sur ce gars-là par hasard ?

Ce petit mot pourquoi semble tisser des liens étranges entre le non-savoir de l’enfant, la science de l’adulte et l’idée de destin. De quels liens s’agit-il donc ?

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