Le Naufrage du Ter Schelling

Auteur : W. Glanius
Editeur : La Découvrance

Partis de Batavia le 3 septembre 1661, quatre vaisseaux hollandais, dont le Ter Schelling, font voile pour le royaume du Bengale.
En reconnaissance le long des côtes du Bengale, le Ter Schelling s'échoue. Glanius et quelques hommes d'équipage, désormais naufragés, vont lutter pour survivre. Isolés sur une île déserte, ils sont réduits à des extrémités pour se nourrir (feuilles, insectes...). Des moments de lâcheté, d'autres de courage, puis c'est l'enrôlement dans l'armée du grand Mogol en guerre contre le royaume d'Assam. Après avoir retrouvé la liberté, les survivants ne sont pas au bout de leur peine. Glanius remettra les pieds sur le sol de la Hollande en 1673.

«... Cependant la faim continuait avec tant de violence que nous étions tous hors de nous-mêmes. Les uns avaient la vue égarée et se regardaient d'un oeil affreux comme des gens qui méditaient quelque mauvais dessein. Les autres allaient et venaient et marchaient en désespérés, criant de temps en temps qu'ils souffraient comme des damnés. Pendant que l'on se tourmentait, un des plus malades dit aux autres qu'il venait d'avoir une inspiration...»

13,00 €
Parution : Juin 2007
101 pages
ISBN : 978-2-8426-5508-2
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Extrait

Nous partîmes de Batavia avec les vaisseaux nommés Wesop, Brouwershaven, et Nieuwenhove le troisième de septembre de l'année mille six cent soixante-et-un, et fîmes voiles vers Ongueli dans le royaume de Bengale. Notre vaisseau nommé Ter Schelling était monté de quelque huit pièces de canon ; l'équipage était de quatre-vingt-cinq hommes, et sa charge d'argent monnayé, de cuivre et de planches.
Le vingt-troisième, notre contremaître nommé Hillebrant, étant descendu entre les ponts pour en tirer quelques cordages dont il avait besoin, vit ou crut voir nager dans la mer des personnes pâles et défaites, et même quelques morts à flot. Au retour de ce lieu il parut à demi troublé, et quand sa triste rêverie fut un peu dissipée, il nous dit ce qui la causait. Soit que sa vision fut réelle ou un pur effet de son humeur sombre, plusieurs en tirèrent mauvais augure, et commencèrent à se préparer à quelque chose de funeste. Pour lui, depuis ce moment-là, il fut toujours triste et rêveur, au lieu qu'auparavant il était gai et aimait à rire. Sa mélancolie devint telle qu'il ne pouvait souffrir ni gestes ni paroles libres ; ni s'empêcher de nous exhorter à la prière pour détourner les maux dont il semblait que l'équipage fût menacé. Comme il y en avait qui se moquaient de ses visions et qui en faisaient des railleries, il demandait souvent à Dieu qu'il lui plût de faire voir à ces libertins ce qu'il avait vu ou chose semblable ; afin que cela les fît un peu rentrer en eux-mêmes, et réprimât leur libertinage.
Le huitième octobre nous fûmes à la vue de la côte de Bengale, mais nous la vîmes sans la connaître, n'y ayant pas plus d'ap­parence que ce fût elle ou les terres d'Arakan qui en sont proches. Dans cette incertitude nous gouvernâmes de ce côté-là, et donnâmes fond à deux lieues de terre, où notre maître de navire nommé Jacob Janfz Stroom, natif d'Amsterdam, fit mettre chaloupe en mer, et dépêcha vers les habitants le pilote, sept ou huit matelots et le sommelier qui savait un peu la langue du pays pour s'informer de la nature du parage, et du nom des terres que nous voyons. Nous savions que celles de Bengale sont semées d'écueils dangereux où plusieurs vaisseaux avaient fait naufrage ; mais nous n'avions pas les connaissances nécessaires de leur gisement et sans cela nous ne pouvions les éviter. Depuis qu'on eut envoyé de nos gens à terre nous les attendions d'heure à autre ; et trois jours s'écoulèrent en les attendant de la sorte. Au bout de ce temps nous craignîmes qu'ils n'eussent été ou dévorés ou faits captifs ; et dans cette crainte nous levâmes l'ancre et cherchâmes un port où nous pussions nous en informer. Après avoir longtemps cherché, nous découvrîmes trois petites barques qui venaient à nous du côté de terre. Nous en fûmes fort réjouis, espérant que par leur moyen nous apprendrions des nouvelles de ceux que nous cherchions, et qu'ils nous aideraient à sortir de notre embarras. Ces barques s'arrêtèrent à un jet de pierre de notre bord, comme pour aviser ensemble s'ils devaient y entrer parce que c'était un navire de guerre. Après avoir balancé plus d'un gros quart d'heure, leur chef que les autres nommaient Orangkai, ou le capitaine de leur village, fit approcher sa barque, et nous fit signe que les deux autres qui le suivaient étaient toutes pleines de poules, de pisang, de sorlaques, et d'autres fruits de leur terroir.
Nous lui fîmes entendre le mieux que nous pûmes qu'il n'avait rien à craindre, et nos signes l'encouragèrent. Sitôt qu'il fut dans notre bord il fit approcher les autres barques, et décharger leurs provisions qui nous vinrent fort à propos ; et le maître de notre navire le fit entrer dans sa chambre où il lui fit fort bon accueil. Comme ils commençaient à s'entretenir du pays après avoir demandé des nouvelles de nos gens, notre vaisseau toucha contre un terrain qui mit l'alarme dans l'équipage. L'ordre que l'on mit pour nous relever ne se pouvant faire sans bruit, l'Orangkai s'épouvanta, et crut que c'était un signal pour le mal traiter. Dans cette appréhension il ne songea qu'à s'évader et il le fit si adroitement que nul de nous ne s'en aperçut qu'après qu'il fut un peu éloigné. Il s'arrêtait de temps en temps, et nous pensions qu'il retournerait, mais quand nous vîmes qu'il avait oublié l'argent qu'on lui avait compté, nous ne doutâmes plus que sa frayeur ne fût extrême ; en effet, il ne revint pas, et quand notre vaisseau fut à flot nous nous trouvâmes aussi avancé que nous étions auparavant. Dans l'extrémité où nous étions la plupart opinèrent qu'il fallait attendre nos gens, et durant huit jours nous fîmes des courses autour du parage dans l'espérance de les retrouver ; mais l'ayant fait inutilement nous nous mîmes au large et cherchâmes nos vaisseaux de conserve.

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