La Voie Humide

Auteur : Coralie Trinh Thi
Editeur : Au Diable Vauvert

Coralie Trinh Thi s’est imposée comme un authentique écrivain avec son premier roman Betty Monde paru en 2002.
Elle publie aujourd’hui un récit autobiographique : plus de trois années de travail pour plus de 700 pages d’une belle écriture, fluide, modeste et pertinente, autrement dit bien plus qu’une nouvelle et banale bio de porn star.

Construit sur la structure initiatique du Tarot de Marseille, à la fois récit de formation et témoignage acéré sur un moment de notre histoire politique et culturelle, La Voie Humide est la chronique d’une jeune fille très tôt indépendante, qui va exercer des choix et les assumer pour devenir cette femme libre qui pratique le sexe comme un épanouissement personnel.

De l’enfance, l’école et l’apprentissage de la lecture à la découverte du sexe, des premières expériences du porno et de la caméra à la succession des tournages, de la culture rock et gothique à la consécration comme star internationale du X, de la complicité avec Virginie Despentes à la rencontre quasi initiatique avec Jodorowsky, La Voie Humide se lit dans la passion, avec une affection toute particulière pour une jeune femme qui se veut, et demeure, libre et intègre.

Ses convictions intellectuelles et morales pourront choquer les bien-pensants, à commencer par la liberté sexuelle revendiquée jusque dans le choix épanoui du X, mais aussi le rapport au mystique et au magique, ou encore la quête d’amour jamais démentie et toujours difficile qui sous-tendent le récit. C’est un grand livre sadien, un pavé rebelle dans la mare des faux-semblants et du prêt à penser.

Coralie nous donne ici à lire un récit autobiographique d’une absolue sincérité, dans le respect de tous ceux qu’elle a rencontrés. Elle réussit à atteindre la vérité d’un genre délicat, sans aucune trace de complaisance, ni envers elle, ni envers son époque. Un livre qui fera date.

21,00 €
Parution : Octobre 2007
728 pages
ISBN : 978-2-8462-6123-4
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Extrait

J'ai rencontré mon premier amant au pensionnat de bonnes soeurs. J'avais treize ans, et l'internat était une solution idéale pour poursuivre ma scolarité sans pâtir des déménagements incessants de ma mère.
Il est inutile de chercher à me situer socialement : je ne viens de nulle part. Ou de partout. À treize ans, j'avais déjà déménagé une dizaine de fois. J'ai grandi dans un univers mutable et hétéroclite, peuplé d'étudiants, d'ex-détenus, de notables, de musiciens de cabaret, de fils de, de braqueurs, de bourgeois, de flics, de futures ou ex-stars du show-biz, de nobles, de chômeurs longue durée, de fous, de fonctionnaires, de fermiers, de voyants et de prêtres...
Mon père était un Hells Angel, et gagnait parfois sa vie en jouant au poker, ou comme cascadeur. Il me promenait au QG des Hells de la Bastille plus souvent qu'au square, quand je n'étais qu'un bébé. Mes parents se sont séparés dans ma troisième année : c'est ma mère qui m'a élevée. Elle appartient à une seule catégorie identifiable, celle des parents immatures, et j'étais naturellement devenue une enfant adulte. J'ai vite appris à fuir les assistantes sociales qui auraient adoré me placer quelque part, pour mon bien... et surtout pour pouvoir écrire toujours la même adresse sur leurs formulaires.
Je ne l'aurais pas supporté. À l'âge où les autres commençaient à rêver de fugue pour échapper au système, mon défi était de parvenir à y exister sans me laisser piéger. Un art subtil du nomadisme dans une société sédentaire. La pension, négociée directement avec une famille ou un établissement, m'assurait une base sécurisante sans transfert d'autorité parentale. Autorité... Je n'y avais jamais été exposée, et je n'en avais aucune envie. Je savais déjà que la liberté avait un prix : la sécurité. Et que j'étais prête à le payer.
Je suis donc entrée en 3e dans un collège privé du côté de Montereau, perdu au milieu des champs. Comme beaucoup d'établissements privés, il était catholique. Je ne croyais déjà plus en Dieu, mais cela ne me dérangeait pas : la religion m'in­téressait toujours intellectuellement. Le directeur, les profes­seurs et les surveillants étaient des civils laïques, et le collège était mixte. École catholique, cela signifiait quelques bonnes soeurs, assumant diverses tâches : intendance, courrier, cuisine, cours de catéchisme facultatifs... Il y avait aussi une chapelle dans le bâtiment principal de l'internat - un genre de petit château avec un grand parc prétentieux devant, et un pré à vaches derrière.

Mon très jeune âge jurait un peu avec la moyenne de ma classe, plutôt en retard, mais le contraste devenait surréaliste avec la doyenne, une très pulpeuse blonde de dix-huit ans : déjà une femme, blonde décolorée et maquillée, en tailleur et talons hauts. Je me suis donc mise à sucer mon pouce, affalée sur ma table, alors que je m'en étais abstenue bébé.
Seth était le mâle dominant de la classe, un métis brutal, à la carrure imposante, parmi les plus âgés du collège. C'était un grand agitateur, rôle sans doute indissociable de son statut de cancre. On m'a placée juste devant lui, peut-être pour l'isoler des autres rebelles. Cette année-là, j'ai vraiment commencé à m'emmerder en cours. Je n'avais pas d'affinités avec mes camarades, et mon statut d'excellente élève n'arrangeait pas mon cas. Pire, les cours étaient désespérément ennuyeux. Je craignais déjà l'ennui plus que la mort. Les matières stimulantes ne me demandaient aucun effort pour me placer en tête. Les autres n'existaient pas. Je me morfondais. Il n'y avait qu'une chose à faire : lire.

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