Couverture du livre : Capitaine

Avis sur le livre : Capitaine

« Peu importe le voyage, seul compte le récit qui en est fait », écrit Adrien Bosc dans ce deuxième roman follement érudit et magiquement historique. C’est vrai que l’écrivain (et éditeur) de 32 ans, qui se recommande de Tintin comme de Leibniz et Howard Hawks, s’y connaît déjà pas mal en traversée. En 2014, Constellation évoquait le crash d’un avion transatlantique qui transportait, en 1949, quarante-huit personnes, dont l’amant d’Edith Piaf, Marcel Cerdan, et la violoniste Ginette Neveu. Bosc y entrecroisait à merveille les existences de chaque passager, même anonyme. Capitaine se ­déroule durant la même décennie, de mars à juin 1941, mais en bateau, et avec un cocktail d’écrivains et artistes plus éblouissant. L’enjeu de leur ­périple n’est hélas que de survivre aux ­désastres nationalistes et à l’anti­sémitisme assassin de la France de ­Pétain. Sur le Capitaine-Paul-Lemerle, ils espèrent atteindre la liberté à New York ou au Mexique. Parmi ces bannis, le surréaliste André Breton avec femme et fille, le jeune anthropologue Claude Lévi-Strauss, le peintre cubain Wifredo Lam et son confrère français André Masson, la photographe allemande Germaine Krull et sa compatriote ­romancière Anna Seghers avec ses deux enfants, sans oublier le communiste antistalinien Victor Serge et son fils. Aucun n’est héroïque, ni n’échafaude de salvatrice revanche politique : ils dialoguent parfois entre eux sur les sujets qui les intéressent, donnent des conférences pédagogiques sur le pont du navire. Tous ont trop à perdre pour vouloir réellement partager… Etonnamment instruit de la vie quotidienne à bord, Capitaine témoigne, avec un luxe de détails tout ensemble matériels et intellectuels, de l’odyssée de ces exclus de l’Histoire. Bosc adopte les ambitions, frustrations et mélancolies de chacun pour en tirer un ballet quasi cubiste tout en angles et points de vue. Lors d’une éprouvante escale en Martinique, seuls Aimé et Suzanne ­Césaire impressionneront par leurs ­générosité et courage politiques. La fresque est ambitieuse qui raconte les tourments peu glorieux auxquels une France rétrécie a condamné ses âmes les plus brûlantes. Elle se joue du reportage et de la littérature, du documentaire et de la fiction, de l’autofiction même. Et Bosc sait manier la phrase ample comme les descriptions balzaciennes. Capitaine devient une Comédie humaine. Et un traité de sagesse : « Le trésor n’est jamais au bout du monde, conclut-il, il est au bout du chemin. »