Extrait : Ce que je peux enfin vous dire

Auteur : Ségolène Royal
Editeur : Fayard

Ce que je peux enfin vous dire

Pourquoi ce livre ?

Je n’avais pas l’intention d’écrire tout de suite sur mon expérience politique et humaine.
Mais au moment où la parole des femmes s’est libérée, notamment avec le mouvement #metoo, beaucoup d’entre elles m’ont demandé de témoigner.
« Comment vous avez fait ? » « On a compris que ça avait été souvent violent. » « Mais vous n’avez rien dit. Vous devez nous dire. »
Ce ne sont pas seulement des femmes qui m’ont interpellée, mais également de plus en plus souvent des hommes, des hommes qui disent enfin leur stupéfaction, voire leur effroi, de découvrir ce que les femmes et les petites filles subissent au quotidien. « Vous devez parler pour nos filles, pour nos sœurs, pour nos compagnes, car nous ne savions pas à quel point ça pouvait exister ! »
Alors j’ai fini par admettre que je devais témoigner pour contribuer à cette formidable révolution de la parole des femmes, leur juste révolte contre toutes les formes de violence. Car c’est loin d’être gagné.
Je vais donc, de mémoire, vous dire ce que la plupart des femmes subissent en silence, en politique, et que les hommes ne subissent pas. Pour que naisse un nouveau système politique où on ne voie et n’entende plus jamais ça.

La seconde chose que je voudrais partager avec vous et que j’ai apprise de ma longue expérience des combats écologiques, c’est qu’il y a, entre les violences faites aux femmes et les violences faites à la nature, une vraie ressemblance.

Le vocabulaire, à juste titre, est le même : femme et nature abîmées, agressées, salies, violées, souillées, victimes de prédateurs, d’exploiteurs, d’abuseurs.
La nature a longtemps été considérée comme exploitable et corvéable à merci, comme un bien gratuit que chacun pouvait s’approprier en toute impunité.

La principale cause des malheurs du monde, c’est le dérèglement climatique. Le manque d’eau tue dix fois plus que les guerres, et les migrations climatiques concerneront deux cents millions de personnes dans les cinquante années à venir si rien n’est fait.
C’est donc pour témoigner de la violence faite à la planète et de la violence faite à la femme que j’ai écrit les lignes qui vont suivre.
Ce n’était pas prévu. Ce que j’avais à dire, j’étais certaine de l’avoir dit. Et ce que j’avais à taire, je pensais plus judicieux de l’avoir tu.
J’avais donné la parole à mes convictions, durant mes campagnes et mes combats. Et j’avais astreint au silence mes doutes et mes souffrances.
Comme beaucoup de femmes, j’avais passé un accord avec le silence. Je lui confiais mes peines, mes blessures. Et avec le temps il m’aidait à les dépasser.
Puis cette révolution s’est produite : la parole des femmes s’est libérée. Et aussitôt, j’ai senti que ma parole se libérait également.
Tous les jours, ce que j’avais cru enfoui et peut-être même disparu remontait à la surface.
Je me suis accordé le droit de parler. Et très rapidement, ce droit est devenu un devoir. La raison du silence des femmes, c’est la peur de l’humiliation. Ce me fut difficile, parfois douloureux, d’écrire, car cela m’a fait revivre des épreuves que j’avais rangées dans ma mémoire frigorifiée.
J’ai écrit ce livre en pensant à toutes les filles, en espérant qu’elles n’auront plus à subir le joug du silence. Je l’ai écrit en pensant à tous les garçons, en espérant qu’ils seront de plus en plus à nos côtés dans ce mouvement, parce qu’ils ont tant à y gagner.
Respect de la nature, respect des femmes : et s’il y avait là une réponse aux deux fléaux qui frappent aussi bien la planète que l’action politique, la déshumanisation et le déracinement ? Je le crois, et c’est pourquoi j’ai voulu ici faire œuvre de liberté, utile et créative.