Ce que nous savons depuis toujours

Auteur : Marcello Fois
Editeur : Seuil

Ce que nous savons depuis toujours apparaît à première vue comme un thriller, une nouvelle enquête menée par le juge Salvatore Corona - celui de Un silence de fer et de Plutôt mourir - et le commissaire Sanuti (ce dernier un peu dépaysé car il vient de débarquer du continent et a du mal à se faire aux us et coutumes sardes), aidés en coulisse par le maréchal à la retraite, Nicola Pili, fin connaisseur de tous les secrets de la région de Nuoro, cet arrière-pays sarde qui sert de décor à presque tous les romans de Fois. Le cadavre de Michele Mariongiù est retrouvé, couvert de sang, la veste criblée de balles, sur le chantier d’un immeuble en construction. Le frère aîné de la victime, un vétérinaire, est mort par suicide quelques années auparavant; son frère cadet, Raffaele, qui a des précédents judiciaires, est interrogé. Chez la veuve de la victime, Maddalena, on retrouve les restes calcinés d’un document. La mère du défunt, Mariangela, semble avoir perdu la tête; une femme d’environ 40 ans (entrée à son service à l’âge de 10 ans), Palmira, s’occupe d’elle. Tels sont les éléments sur lesquels les enquêteurs peuvent se baser. Mais les choses ne vont pas tarder à se compliquer.
Sur le lieu du crime, aucune trace de balles, aucune empreinte. Or, pendant que la police scientifique travaille sur le document calciné, le médecin légiste, Osvaldo Pintus, découvre que le sang qui imprègne les vêtements du cadavre est du sang de cochon, et que la veste qu’il porte appartient à un autre mort (enterré depuis un certain temps, selon eux). En outre, un vieillard raconte avoir entendu des pelleteuses travailler jusqu’à une heure du matin sur le chantier, la nuit du crime. Un peu plus tard, une disquette parvient au procureur de Nuoro : elle contient la comptabilité d’un éleveur du pays, Francesco Lilliu : avec la complicité d’un vétérinaire, l’homme a profité frauduleusement de subventions de la Communauté européenne, en déclarant que son bétail était atteint d’une épidémie de fièvre porcine. Le juge Corona comprend bientôt que les deux affaires sont liées.
En effet, le chantier sur lequel a été retrouvé Michele Marongiù appartient à l’éleveur et à son frère adoptif, Mauro Mele. Mais ce n’est pas tout : la veste du mort appartenait à Cosimo Mele (le frère aîné de Mauro) assassiné avec toute sa famille (à l’exception du petit Mauro, âgé de 10 ans) le jour de son mariage par les frères de la jeune femme qui était enceinte de lui. La jeune femme d’alors est la vieille Mariangela Mariongiù d’aujourd’hui. Chercher la femme, donc. Le juge et le commissaire finiront par établir une vérité, qui n’est peut-être pas décisive, car la vérité ne l’est jamais, conclut l’auteur. Découvrant que son mari, Michele, avait une liaison avec Palmira, qui attendait un enfant de lui (le document calciné, trouvé à son domicile, était justement le résultat d’une analyse sanguine stipulant qu’elle était enceinte), Maddalena Mariongiù l’a étranglé. Elle a ensuite demandé son aide à sa belle-mère, Mariangela, qui lui a fourni la veste de son ancien amant. Avec l’aide de Raffaele, les deux femmes ont emporté le cadavre sur le chantier et ont organisé la mise en scène. On soupçonne Mauro Mele d’avoir voulu mouiller Francesco Lilliu, lassé de couvrir son comportement malhonnête.

Dans cette affaire de meurtre, Marcello Fois fait donc s’enchevêtrer très habilement des histoires qui lient le passé lointain, le passé proche et le présent, nous offrant un raccourci de l’histoire de la Sardaigne : on part d’une situation zéro de traditions et de pauvreté, de règles tribales et de passions profondes, et on aboutit à l’âge d’Internet (avec les activités subversives d’un groupe d’adolescents, le Cosmo Good, dont fait partie Raffaele Mariongiù, par qui le scandale arrive). Et la femme est toujours présente : Mariangela qui avorte d’une façon atroce et qui est à l’origine du meurtre de son amant; la femme d’Antonio Lilliu, qui tue indirectement son mari par non-assistance à personne en danger, ayant découvert qu’il voulait privilégier son fils adoptif par rapport à son fils légitime; Maddalena, qui tue Michele après avoir appris qu’il avait une liaison avec Palmira. Ce qui est étonnant, c’est la colère, la haine et la tristesse qui animent ce livre, se fondant dans un désespoir traité avec beaucoup de sincérité. En ce sens, il est plus dur que les précédents. Poussé par la colère et la rage face à ce qui s’est passé et se passe aujourd’hui encore en Sardaigne, Fois s’éloigne de plus en plus du roman de genre utilisé jusqu’à présent pour raconter son île. Si le livre commence bien par un meurtre, ce n’est pas tant l’enquête, pourtant magistralement menée, qui démasquera la vérité, qu’un chœur de voix anciennes et modernes qui dévoilent un enchevêtrement d’histoires, innocentes ou terribles, dans lesquelles se dissimule l’origine d’un mal, qui frappe la Sardaigne et le monde.

19,30 €
Parution : Août 2003
239 pages
ISBN : 978-2-0205-3898-5
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