Les Anneaux du manège: Écriture et littérature

Auteur : Bernard Pingaud
Editeur : Gallimard

"Derrière l'écrivain, un nouveau personnage s'est imposé peu à peu, que j'appelle l'"écriveur". A la différence de l'écrivain, qui voit toujours à l'horizon le produit de son travail - le texte achevé, l'oeuvre - l'écriveur se contente d'écrire, indéfiniment. L'écrivain dit : "J'écris ceci ou cela." L'écriveur dit : "J'écris", point final. Ainsi, il y aurait deux littératures : celle qui joue le jeu de l'oeuvre et celle qui le refuse. Celle qui, de propos délibéré, vise l'ensemble, quitte à longtemps tâtonner pour l'atteindre, celle qui, non moins délibérément, s'attache à suivre le cours capricieux de l'écriture, quitte à s'y engloutir et s'y perdre. Deux littératures qui, sous leur opposition apparente, entretiennent une sourde complicité. Un écrivain amoureux de l'ensemble peut vouloir l'aménager, l'enrichir indéfiniment (Flaubert, Proust), et il y a des monuments qui restent inachevés (Musil, Kafka). Inversement, on pourrait sans trop de difficultés montrer que, dans des textes qui semblent parfaitement maîtrisés (L'Etranger, par exemple), l'écriture exerce sa pression tenace et provoque parfois d'étranges embardées. Certains diront que le courage (ou l'humilité, comme on voudra) est d'affronter le risque de l'achèvement et que le vrai "mandat" de l'écriveur est de devenir écrivain. On peut aussi penser que l'attitude de l'écriveur est plus périlleuse et plus vraie. S'il peut y avoir, à la limite, écriture sans littérature, le contraire n'est pas vrai. L'écriture travaille la littérature de l'intérieur, elle est son ferment, sa sève. Je me soucie peu, finalement, de savoir comment, par qui sera prononcé le "dernier mot" ; seules m'importent, aujourd'hui, les oeuvres où, discrète et têtue, j'entends résonner la voix de l'écriveur."

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Parution : Mars 1992
256 pages
Collection: Folio
ISBN : 978-2-0703-2681-5
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