Rose la nuit
« Rose », le mot, couleur, fleur, prénom, habite Maryline Desbiolles : Marie-Rose, bergère rebelle et un peu sorcière, fut une figure importante de son enfance. Plus tard, ne l’a-t-on pas traitée de « Rosa Luxemburg » ? Deux figures de Rose bien éloignées de la suavité que l’on attribue ordinairement à ce prénom.
Suivant son intuition, l’écrivaine s’invente une contrainte. Bientôt paraît l’annonce suivante : Écrivaine cherche des personnes se prénommant Rose pour l’écriture d’un roman. Merci de prendre contact avec la maison d’édition : [email protected].
Sept Rose y répondent. Mais c’est à une Rose de fiction, « une grande bringue salement amochée », que revient le rôle de narratrice. Échouée dans un couloir d’hôpital, cette femme maigre et couverte de plaies prétend s’appeler Rose Rose (le deuxième Rose en guise de patronyme). L’infirmière ne la croit pas, pas plus qu’à ses prétendues douleurs : les examens n’ont rien révélé de grave. En réalité, le grand échalas vit dans la rue et a envie de passer une nuit à l’abri. Comprenant qu’improviser sur le nom de Rose éveille l’attention, elle se transforme, sous nos yeux émerveillés, en moderne Shéhérazade.
Entre rêve et sommeil, la voilà tantôt Rose de onze ans sous l’avocatier d’une maison niçoise, tantôt Rose-Marie avec sa grand-mère calabraise, Rose du Nigéria ou encore Rosetta, si mal accueillie avec sa famille d’Italie du Sud. Qu’elle soit Rosette née à Tunis en 1935 ou Rosy née à Orléans en 1944, ses récits murmurés à l’oreille des soignantes lui valent la nuit sauve.
Rien de suave dans les destinées de ces femmes, dont la force, la grâce, l’esprit de lutte et de résistance se fondent en des motifs curieusement récurrents et s’élèvent en une joyeuse sarabande, bien dans la manière d’une Maryline Desbiolles dont ce livre éblouissant pourrait également se lire comme un art poétique.
