L’évasion

Auteur : Dominique Manotti
Editeur : Gallimard

À la fin des années 1980, Filippo, petit voyou italien, s'évade de prison avec Carlo, un ancien activiste des Brigades Rouges. Si Carlo est tué quelques semaines plus tard dans un braquage, Filippo, lui, arrive à Paris où il découvre le milieu des réfugiés politiques italiens et les zones d'ombre des Années de plomb, mais aussi les méthodes des polices français et italienne et des services de renseignements. Devenu veilleur de nuit, pour combler sa solitude, il commence à écrire et raconte son histoire, ou ce qu'il voudrait être son histoire.

7,25 €
Parution : Mars 2015
Format: Poche
240 pages
Collection: Folio policier
ISBN : 978-2-0704-6274-2
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La presse en parle

Dominique Manotti dévoile les manipulations orchestrées par les services secrets italiens alliés à une partie de l'Etat lors des " années de plomb ". D'innombrables zones d'ombres subsistent depuis l'attentat de la piazza Fontana à Milan qui, le 12 décembre 1969, fit 17 morts et 88 blessés. Rappelons que l'enquête, marquée par la " défenestration " en garde à vue du principal suspect, un cheminot anarchiste, a conduit les magistrats, des années plus tard, sur la piste des néofascistes. De ce récit naviguant entre réécriture de l'Histoire et affabulation de soi, la littérature sort intacte. L'Evasion rend hommage à la puissance évocatoire des mots...
Qu'elle expose les circuits empruntés par les trafics de drogue, qu'elle détaille les mécanismes du blanchiment d'argent, qu'elle lève le voile sur la corruption des élus ou les magouilles de la politique, Dominique Manotti a toujours fait confiance aux armes propres à la littérature pour emporter l'adhésion du lecteur : alacrité du style, rigueur de la documentation, véracité de l'intrigue, peinture sociale - ici la communauté des réfugiés politiques italiens à Paris, à l'époque protégés par la " doctrine Mitterrand ", et le microcosme littéraire parisien. C'est ainsi que L'Evasion devient aussi la nôtre.
Macha Séry - Le Monde


Gardien de nuit à la Défense, solitaire et désoeuvré, Filippo s'est mis un jour à écrire. On ne peut s'empêcher de penser à Cesare Battisti, qui a été concierge à Paris, et qui lui aussi a divisé la communauté des exilés italiens, et dont les ouvrages ont également fait polémique dans la Botte. Mais Dominique Manotti, marxiste de longue date, dont les ouvrages font toujours écho à l'actualité, propose là autre chose qu'une simple évocation de l'Histoire. Elle suggère que l'histoire qu'on se raconte, et celle qu'on raconte aux autres, aussi inventée, fictionnelle, soit-elle, peut acquérir autant voire plus de réalité que la «vraie». Et pourquoi pas télescoper la grande, l'officielle. Quitte à dépasser et dévorer son auteur. L'évasion du titre est au moins double : de la prison mais aussi de la condition de soi.
Sabrina Champenois - Libération


Dans L'Évasion, la romancière nous entraîne avec Filippo, un «droit co» mythomane, dans l'univers complexe des relations franco-italiennes des années 1980...
La maîtrise narrative de Dominique Manotti n'étonnera pas ceux qui connaissent son travail et le placent très haut dans la hiérarchie du roman noir français d'aujourd'hui. L'art de la romancière, où la virtuosité cinématographique et le sens des caractères augmentent la férocité de la critique sociale, devrait cependant éblouir ceux qui le découvriront avec L'Évasion...
Littérairement passionnant et redoutablement efficace, ce mélange de bons et de brutes a je ne sais quoi d'éminemment balzacien.
Sébastien Lapaque - Le Figaro

Extrait

8 février, Rome et ses environs

Le local à ordures pue. Une grande benne débordant de sacs-poubelle noirs sur un sol bétonné, pas de fenêtres, un rideau de fer doublé d'une grille métallique ferme le réduit, éclairé par deux mauvais néons. Filippo est furieux. D'habitude, quand il vient balayer et nettoyer le local, les camions-poubelle sont passés, les bennes sont vides, et ça pue moins. Aujourd'hui, l'odeur est presque insoutenable. Haut-le-coeur, mais bon, il n'a pas le choix, il se met au boulot. Il balaie, frotte le sol, balance de la Javel et des grands seaux d'eau. Six mois de taule derrière lui, encore 410 jours à tirer, folle envie de sortir, mais comment ? Mais après ? Il jette un seau d'eau à la volée, regarde sa montre. Dans un quart d'heure, corvée finie, pointer, remonter en cellule... 410 jours, putain, encore 410 jours... Soudain, le moteur qui commande de l'extérieur le rideau de fer se met en marche, le rideau de fer vibre. Panique. Ce n'est jamais arrivé. Je ne suis pas censé être là quand la porte s'ouvre. Qu'est-ce que je fais ? Regard affolé à la montre, pourtant, c'est bien mon heure. Un bruit sourd dans le conduit du vide-ordures, des coups contre les parois, un corps en boule propulsé dans la benne, qui se détend et plonge dans les ordures. Filippo a juste eu le temps de reconnaître son codétenu, Carlo, un flot de réactions incohérentes, mon seul ami qui se fait la malle... et sans moi... Le rideau de fer commence à se soulever, rai de lumière du jour au ras du sol. Je suis là quand il se fait la malle, on va m'accuser, complice, j'en reprends pour un an de plus, au moins... mitard. Sans plus réfléchir, Filippo saute, bras tendus, attrape le bord de la paroi de la benne, rétablissement acrobatique, et plonge à son tour dans le tas d'ordures. Il entend Carlo jurer à voix très basse, et lui dire : «Enterre-toi, bordel, et couvre-toi le visage», puis il perd le contact avec lui. Il relève son tee-shirt par-dessus sa tête, ferme les yeux, et nage entre les sacs vers le fond de la benne. Le plastique glisse bien, mais l'odeur, le poids, il étouffe. Un sac déchiré, les bras et la tête s'enfoncent dans du poisseux, visqueux, pourri, râpeux, et l'odeur. Brusque vomissement. Plein le visage. Réagis, arrête de paniquer, sinon tu vas crever, écarte ce tee-shirt, mouche-toi, respire calmement, à très petits coups, en protégeant ton nez et ta bouche. Le corps en boule, Filippo cherche par des gestes très lents à se ménager une bulle d'air. Il écoute les bruits de l'extérieur. Le camion vient de déposer une benne vide. Il imagine les gardiens qui tournent tout autour, dans la cour. Maintenant, le camion va charger la leur. Un choc contre les parois, la benne se soulève, traction, nouveau choc, elle est sur le camion, un temps, les éboueurs doivent bâcher, moteur, on roule, un arrêt, coeur battant, les gardiens doivent soulever la bâche, inspecter le contenu de la benne, Filippo se recroqueville, le camion repart, allure régulière. Il est dehors. Stupeur. Qu'est-ce que je fais là, exactement ? Il perd brièvement conscience.

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