La réaction

Auteur : Côme Martin-Karl
Editeur : Gallimard

«Le propriétaire de l’appartement s’appelait Yvon Saillac de Livès, il avait vingt-neuf ans mais la tête de quelqu’un de dix-neuf ans qui allait mourir à vingt-cinq. Il fumait, se droguait à l’occasion, vivait la nuit et se nourrissait de saucisses cocktail. Il avait des sympathies libertariennes et envisageait son logement comme une communauté politiquement incorrecte où il réunissait des gens qui partageaient son point de vue : peine de mort, État faible, dérégulation généralisée, darwinisme social, privatisation des sols, des sous-sols, de l’école, de la police, de la monnaie, de l’armée, de la santé, de l’air, du feu et de l’eau.»

Matthieu Richard, un trentenaire sans emploi, grenouille dans une France de plus en plus réac. Par dandysme, il fréquente divers milieux d’extrême droite, peuplés de marginaux bien nés et d’idéologues sous acide. En rejoignant le Renouveau réactionnaire, un groupuscule catholique intégriste, il se confrontera à ses névroses politiques et sentimentales.
Avec La réaction, qui nous entraîne du centre de Paris à la France des ronds-points, Côme Martin-Karl signe un roman édifiant sur notre époque.

19,00 €
Parution : Février 2020
224 pages
Collection: Blanche
ISBN : 978-2-0728-8384-2

Extrait

C’est à ma grande surprise que j’existe.
La possibilité de jamais n’avoir été là est si immense, si écrasante comparée à la possibilité inverse, que ç’en est vertigineux. L’enchaînement des hasards qui, depuis le paléolithique, ont conduit à ce que je m’éveille tous les matins relève de la plus infime des probabilités. Je ne suis pas croyant, donc aucune des questions qui pourraient logiquement suivre, comme « pourquoi ? », ne me concerne.
De cette constatation, je ne fais rien. Le contraste entre l’ampleur de cette réflexion et la petitesse de son intérêt m’a toujours frappé.
Il m’arrive aussi de songer à une vérité proche de la précédente.
Parfois, lorsqu’un événement anodin se révèle déterminant dans la vie, on se représente avec ébahissement la tournure que celle-ci aurait prise si ces circonstances n’étaient pas advenues. Un épisode apparemment insignifiant est capable de métamorphoser une existence entière.
Ce genre de choses :
— Imagine, si j’avais pas pris le métro ce matin-là on se serait jamais rencontrés.
— Oui c’est vrai, quand on y pense. C’est fou.
Si l’on prolonge ce raisonnement assez banal et en général destiné à s’émouvoir des ruses du destin, alors on bascule dans la terreur. Je ne parle pas de toutes les villes où je ne suis pas né, de toutes les époques que je n’ai pas vécues. Je parle de tous les métros que je n’ai pas empruntés, tous les chemins que je n’ai pas suivis, de tous les lieux où je ne me suis pas rendu, de tous les moments où je n’ai pas été en retard. Toutes les microdécisions quotidiennes qui ont nécessairement été prises au détriment d’autres. Elles sont autant d’erreurs possibles, autant de rendez-vous manqués qui ont interdit à ma vie de devenir quelque chose d’autre, quelque chose de mieux, quelque chose d’extraordinaire. Cette pensée-là, elle, me dévore.

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