Le Capitaine et la Gloire

Auteur : Dave Eggers
Editeur : Gallimard
Sélection Rue des Livres
En deux mots...

Cette satire féroce des États-Unis en proie à la folie, incroyablement drôle, raconte l'histoire d'un grand navire, la Gloire, et de son capitaine bruyant et grotesque qui le conduit au bord du désastre.

Traduction : Juliette Bourdin
7,50 €
Parution : Octobre 2020
Format: Poche
144 pages
Collection: Folio
ISBN : 978-2-0728-9707-8
Fiche consultée 280 fois

Présentation de l'éditeur

Sur le grand navire la Gloire, le capitaine qui le dirigeait avec habileté doit quitter la barre. Son successeur, lui, ne connaît rien à la navigation. Affublé d’une plume jaune dans les cheveux, il se révèle vite erratique et grotesque. Jour après jour, il inscrit ses opinions sur le tableau blanc de la cafétéria, se vante de posséder une anatomie exceptionnelle et jette par-dessus bord quiconque lui déplaît. Jusqu’à ce qu’apparaisse à l’horizon un célèbre pirate, longtemps redouté par les passagers de la Gloire mais vénéré par le Capitaine pour ses démonstrations de virilité lorsqu’il monte torse nu à cheval…

Avec ce roman inédit en France, Dave Eggers signe une satire féroce et hilarante des États-Unis en proie à la folie.

Extrait

Le capitaine, vieillissant et les tempes grisonnantes, avait dirigé l’éminente Gloire de longues années et était prêt à prendre sa retraite. Par une belle journée d’automne parsemée de nuages blancs et teintée de mélancolie, les passagers du navire, par milliers, se rassemblèrent pour lui dire au revoir. Ils étaient amarrés sur une île tropicale luxuriante où le capitaine prévoyait de se retirer, pour goûter aux fruits les plus frais et s’abreuver aux sources les plus pures. Il avait gouverné avec bonté et sang-froid toutes ces années, que les mers fussent agitées ou tranquilles, et le regarder descendre la passerelle émut jusqu’aux larmes plus d’un passager de la Gloire.
Parmi les citoyens du navire se trouvaient des charpentiers et des enseignants, des peintres, des professeurs et des plombiers, qui avaient rejoint le vaisseau des quatre coins de la planète. Ils n’étaient pas toujours d’accord sur tout, mais ils partageaient une histoire de plusieurs siècles durant lesquels, ensemble, ils avaient affronté la mort et la naissance, les splendides levers de soleil et les nuits de malaise, la guerre et le chagrin, le triomphe et la tragédie. À travers ces épreuves, ils avaient développé le sentiment qu’ils formaient un patchwork d’humanité, une courtepointe folle et irrégulière, pleine de couleurs et de contradictions, mais qui ne voulait être ni désunie ni déchirée.
Avec le départ du vieux capitaine, les passagers discutèrent de sa succession. La tâche était intimidante. Le capitaine sortant était à la fois un héros de guerre et un érudit, et il était même si accompli comme marin et comme diplomate qu’il en avait été surnommé l’Amiral – titre honorifique qui n’avait été conféré à aucun de ses prédécesseurs.
Un certain nombre de gens pouvaient le remplacer: plus de douze membres d’équipage avaient déjà piloté de grands vaisseaux et avaient l’expérience de la navigation et du droit maritime, et au moins dix avaient travaillé pendant des décennies sur ce navire particulier dont ils connaissaient les moindres jauges et goujons. Tandis que les passagers envisageaient qui, de ces personnes qualifiées, pourrait prendre la barre, l’un des passagers se fit entendre.
« Je vais le faire », dit-il haut et fort, d’une voix à la fois aiguë et rauque. Cet homme était corpulent, un peu voûté, et portait une plume jaune dans les cheveux. Les passagers le connaissaient bien. Ils savaient que c’était le type qui vendait des souvenirs bon marché près du golf miniature, qui avait emprunté de l’argent à tous les adultes du navire ainsi qu’à certains adolescents, qui avait escroqué les péquenauds en les dupant au bonneteau et en vendant chat en poche, qui ne sortait pas les jours de vent ou de pluie (parce que l’effet sur sa plume était catastrophique) et qui racontait à peu près tout ce qui lui passait par la tête.
« J’aime bien ce type, dit un passager. Il raconte tout ce qui lui passe par la tête. »
« Ouais ! » cria un autre. Cet homme était surnommé Fourchette, car il volait régulièrement les portefeuilles et sacs à main des passagers et s’était spécialisé dans le vol de bonbons aux enfants. Fourchette était un ami proche de l’homme à la plume jaune, et tous deux faisaient partie d’une clique d’escrocs et de voleurs minables qui se réunissaient habituellement sous les escaliers près du vestiaire des femmes pour pouvoir prendre des photos sous leurs jupes. On comptait parmi eux Ed le Sale, qui blanchissait de l’argent, et Le Sucré, qui revendait les bonbons que Fourchette avait volés aux enfants. Il y avait un maître chanteur nommé Benny l’Essoreur, un assassin nommé Gogo l’Assassin et un gogo nommé Michael le Cohen. Il y avait un homme de main nommé Freddie le Tueur et un racketteur habillé très classe nommé Paul le Manafort, et ces deux types – tous ces types – acclamèrent bruyamment l’homme à la plume jaune. Eux et le reste des Mateurs – car c’est ainsi qu’ils s’étaient baptisés – étaient très amusés par l’idée que leur copain – qu’en leur for intérieur ils considéraient comme atrocement vulgaire, hautement susceptible et affligé d’une odeur de vieux bonhomme qui pue l’oignon – devienne capitaine.
«Faites-moi capitaine!» cria l’homme à la plume jaune. Il n’avait jamais piloté. Il n’avait jamais gouverné le moindre bâtiment, de quelque nature ou taille que ce soit, et il avait insulté les capitaines précédents haut et fort à maintes reprises. En fait, des années durant, cet homme n’avait cessé de dire à ses compagnons de voyage qu’il n’aimait même pas les bateaux. Il avait répété à qui mieux mieux que tous les navires étaient mauvais, et que tout pilote l’était aussi. À vrai dire, il détestait tout le monde à bord, sauf les personnes qui voulaient bien lui prêter de l’argent ou qui étaient des femmes-en-maillot-de-bain.
« Faites-moi capitaine ! » répéta-t‐il.

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