Ta promesse
«Au moment où s'ouvre ce livre, je romps une promesse. Lorsque je l'ai faite, c'est idiot, j'étais sûre que je la tiendrais. Enfin, idiot, je ne sais pas. La moindre des choses, quand on fait une promesse, n'est-ce pas d'y croire ?» Que s'est-il passé avec son compagnon pour que la romancière Claire Lancel doive se défendre devant un tribunal ? Au fil du récit, elle raconte comment elle s'est peu à peu laissé entraîner dans une histoire faite de manipulations et de mensonges. Dans ce roman haletant comme un thriller, Camille Laurens questionne le narcissisme contemporain, l'absence d'empathie, et se demande comment sauver l'amour de ses illusions. Elle nous invite à le célébrer et à le vivre, au-delà des promesses trahies.
Extrait
Dès que la voiture s’est éloignée sur la route, je suis revenue vers la maison. J’ai rasé les murs et contourné la façade sur laquelle l’agence immobilière avait fixé la pancarte À louer, qui commençait déjà à se fendiller. J’ai eu envie de l’enlever mais par superstition je ne l’ai pas fait. Nous avions été heureux ici autrefois, pourrions-nous l’être à nouveau ? Plus exactement, je pensais que nous avions été heureux mais je n’en avais aucun souvenir. Mon cerveau était comme vidé de toute réalité, n’en subsistait qu’un mot, le mot bonheur, qui pouvait tout aussi bien s’appliquer seulement aux deux derniers jours.
La clef qui ouvrait la porte arrière de la cuisine, côté jardin japonais, était à sa place sous la troisième pierre. Jardin japonais, c’est beaucoup dire : un carré de terre vide avec un bambou famélique et un chemin de six pierres plates. Bien qu’il soit mal exposé, on pourrait tenter d’y faire un potager – j’avais eu la même idée lors de notre première visite, cinq ans plus tôt, mais la beauté des arbres et des fleurs côté sud me l’avait fait oublier. À présent, tout était sec.
J’ai tiré le volet dont j’avais exprès ôté le crochet quand nous avions refermé toutes les issues dix minutes plus tôt et j’ai ouvert la porte. Traversant la pénombre, je suis allée directement au petit secrétaire de l’entrée, celui que sa mère, qui le lui avait donné, appelait un bonheur-du-jour, dont le rabat ouvert servait de vide-poches. J’avais toujours cru que les quatre tiroirs étaient des trompe-l’œil, on avait beau s’acharner sur leurs boutons dorés, ils ne s’ouvraient pas, mais tout à l’heure dans le miroir, j’avais surpris Gilles en train d’y prendre quelque chose. Dans le reflet de la glace où je vérifiais que je n’avais pas les sourcils en bataille, cela m’avait semblé être une plaquette de médicaments, dont il avait extrait et avalé à la dérobée un comprimé. Avoir habité des années cette maison sans connaître le secret de ce meuble me mortifiait, j’en étais curieuse mais pas autant que du secret dans le secret. Me cachait-il une maladie ? J’ai mis trois bonnes minutes à comprendre le mécanisme, il fallait vraiment le savoir, le ressort était très bien caché. À l’intérieur, il y avait en effet deux plaquettes de gélules dont le nom ne me disait rien, j’irais voir sur Google, et puis une feuille pliée en quatre, un papier commercial dactylographié à en-tête que j’ai déplié, soulagée que ce ne soit ni une ordonnance ni une lettre d’amour. Je me suis approchée du faisceau de lumière jaune qui tombait de la lucarne. À ce moment-là, j’ai entendu qu’on ouvrait le portail et une voiture, la voiture, est entrée dans le garage. J’ai reporté mes yeux sur le papier. C’est comme ça que tout a commencé. Et fini. Ça a fini là, l’histoire. La suite, vous la connaissez. Si l’on s’en tient aux mots, secrétaire convenait beaucoup mieux que bonheur-du-jour. Mais on ne peut pas toujours taire un secret, ni être heureux tout un jour, il faut croire.
